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Trois hommes et un kodo

Par Poodre

Péripéties diverses et variées à l'aube de la construction de la grande citadelle de Theramore

Tout commence par une matinée comme nous avons l'habitude d'en voir, ici, à Theramore. Une matinée trop calme annoncée par une aube maussade, qui chaque jour depuis mon arrivée sur le Nouveau Monde semble jeter un voile opaque sur les environs, et au-delà. On sonne matines à la chapelle de la Lumière, et les citoyens de notre citadelle commencent à vaquer à leurs occupations, comme un seul homme, machinalement - leur esprit embrumé par le sommeil, à n'en pas douter. Hors les murs, seul l'inconnu nous attend. Nous guette, plutôt. Guette le moindre de nos faux-pas, la moindre de nos imprudences, et la rumeur diffuse et bourdonnante de la jungle sonne comme un avertissement à nos oreilles. Le silence de mort qui règne sur les marais autour de Theramore en dit autant sur nos chances de prospérer sur cette terre abandonnée des dieux. Les plus pessimistes diront qu'elles sont inexistantes.

Mais je veille. C'est mon devoir, c'est ma vie. Je suis le seigneur Wilhem Gerhalt, Commandeur de la Main d'Argent dépêché sur les rivages de Kalimdor à l'aube de cette guerre tragique. Je me reprends à songer, dans mes instants de solitude, aux épreuves terrifiantes que nous avons du surmonter. Les enchevêtrements de corps. Les cris horrifiés qui meurent et s'éteignent dans les flots de sang noir. La haine, la haine, la haine. La magie. Les démons. Mais tout est fini maintenant. Le grand arbre du Nord n'est plus, et nous devons aller de l'avant. Les choses ne sont plus ce qu'elles étaient ; le temps de Lordaeron, le faste de Stormwind, tout ça parait bien loin à présent.

Tu te fais vieux, Wilhem, tu te fais vieux ! Inutile de ressasser les vieilles rengaines. N'oublie pas ton rôle. C'est à toi qu'il appartient d'ériger une Nouvelle Lordaeron, ici, dans ces contrées crépusculaires. Et comme le disait toujours Turalyon (Puisse-t-il séjourner en paix dans son glorieux empyrée !), pas de civilisation sans ordre. Et pas d'ordre sans défense. Ils sont loin les nobles remparts de nos vieux empires ! Disparues, les meurtrières féroces et les douves béantes qui tinrent en respect les plus belliqueux des orques ! Qu'à cela ne tienne ! Aujourd'hui est un grand jour, une date à marquer d'une pierre blanche, puisque j'ai fait mander les ingénieurs les plus brillants de la Côte des Marchands pour m'aider à moderniser Theramore. Et bientôt, je verrai leur silhouette émerger des marais tentaculaires qui s'étendent à perte de vue. Bientôt, les sauveurs de Theramore sortiront du coeur des ténèbres et apporteront un peu plus de lumière à notre peuple désespéré.

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Nous voilà dans la grande salle de la caserne de Theramore ; la foule est prise d'une animation fiévreuse. Les ingénieurs sont arrivés. Ils sont deux. Le premier est une vision familière, puisqu'à l'académie, j'ai fréquenté jour et nuit (surtout la nuit, mais c'est une histoire peu à propos ici) les dignes représentants de la race des nains. Et celui qui se tient devant moi semble être, sur l'instant, l'incarnation parfaite de la nanité. Un parangon de bougonnerie mêlée de jovialité. Et puis, il y a le physique. Celui-là est ordinaire. Ordinaire pour un nain, je veux dire. Court sur pattes mais massif, presque difforme ; des joues qui pendent sur un visage bonhomme, et envahies par une jungle désordonnée de poils - soit l'homme n'est pas du genre à soigner sa barbe, ce qui serait étonnant, soit il s'est laissé aller après des jours et des jours passés dans la moiteur fauve de ces terres exotiques, ce qui est, ma foi, compréhensible.

« Maître Gerdil Criquenbois, pour vous servir ! (révérence exagérée - théâtrale même ! - mais c'est chose courante parmi ces gens) Magister de Bael Modan, la Montagne Rouge, qui a répondu promptement à votre appel ! »

Je m'apprête à saluer mon homme comme il se doit lorsque mon regard s'arrête, incrédule, sur le second ingénieur.

Toute aussi minuscule, sinon plus, la...créature n'a pas l'allure d'un maître engingneur. Ce serait tout le contraire, même. La silhouette est écrasée comme celle d'un singe, le crâne est chauve. Et vert. Le gobelin (oui, je me souviens de ces bêtes répugnantes qui travaillaient main dans la main avec la Horde, maintenant) est tout de cuir vêtu, si l'on excepte les accrocs épars qui se promènent comme si de rien n'était sur ses vêtements. Il salue l'assemblée médusée d'un sourire enjoué où dansent les canines et les caries.

Mais un paladin de la Main d'Argent ne se démonte pas pour si peu. Et avec sang-froid :

« Et à qui avons nous l'honneur...Monsieur ? »

« Kryllifk Raclebourfes, mon doux fire ! A vot'fervife ! »

« Etes-vous conscient que les gens de votre...acabit ne sont pas parmi les plus appréciés, ici ? »

« Oh ! (déception) Faut pas dire fa, Monfeigneur ! Kryllifk est l'meilleur mécano de tout Ratchet, depuis qu'le vieux Glusk a fait fombrer fa maivon et est allé dire bonvour aux poiffons ! »

Dans l'assistance, on arbore des mines réjouies. A l'évidence, cette peau-verte ridicule est dérangée, et il n'y a rien à craindre d'elle.

Et moi de reprendre :

« Fort bien ! Et les autres mandés ? N'ont-ils point répondu à l'appel ? »

« Oui-da, mon bon fire ! Mais 'font pas arrivés à bon poooort, fa non non non ! Z'ont pas fu éviter les harpies, pas pluf que les lions fur la Voie Dorée, et les kodos en rut non pl... »

« Assez ! (mal à l'aise, je ne peux m'empêcher de fixer les oreilles de Kryllisk, qui battent l'air avec fébrilité) Très bien. Il y aura donc deux ingénieurs en lice, et l'un d'entre eux travaillera à la modernisation de la forteresse, avec tout ce que cela implique : fortune et respect ! »

Une voix dans l'assistance :

« Monseigneur, vous ne pensez tout de même pas... »

« ...engager ce crapaud à longues oreilles ? » (les oreilles dudit crapaud tombent net sur son visage, et il me semble, l'espace d'un instant, que le gobelin me jette un regard mauvais)

Pourquoi pas. Je n'ai jamais vu de gobelins maîtriser à la perfection l'art séculaire des nains et des gnomes. Donnons une chance à l'avorton, cela devrait amuser la galerie...

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Et nous voilà sur les lieux de la démonstration. Une plaine morne et humide jonchée de plantes à l'agonie. Pas une âme qui vive. Seule la cible, un kodo à l'âge vénérable, gît enchaîné sur un rocher. Et tout autour de lui, les stratèges de la Nouvelle-Alliance. J'explique à mes aspirants ingénieurs ce que nous attendons d'eux.

« Voilà l'affaire, Gerdil, et vous aussi, Kryllisk. Ce kodo est doté d'un cuir à l'épreuve de tous les projectiles. Jugez plutôt. Beth ! »

Une archère de ma garde tend son arc, décoche ; le trait fuse, fend l'air, mortel, et termine sa course dans un craquement misérable. La flèche s'est brisée sur la peau de l'animal, qui est à peine dérangé par ce qui vient de lui arriver.

« A vous de faire mieux, messieurs ! Montrez moi la puissance de votre...technologie. »

Et je vois mon nain qui s'avance, confiant au possible.

« Yaaarh ! C'est un travail pour notre légendaire Blunderbuss, ça, et pas pour autre chose ! Admirez, admirez ! (ivre de fierté, il distribue quelques unes de ses armes à feu dans l'assistance, et moi-même je dois avouer que la finition de ses engins de mort est tout à fait remarquable. Il reprend : ) Une balle toutes les deux secondes ! Capable de transpercer le crâne d'un orque à cent pas ! Un enfant serait capable de manier cette arme ! Admirez, admirrrrez ! »

Et de tirer subitement vers la bête sans défense. Le coup de feu retentit et vient briser le silence morbide du marais, poussant quelques volatiles tout de noir vêtus à prendre leur envol en croassant. Et cette fois-ci, le kodo hurle à l'agonie. Tout d'abord, je ne peux ressentir son désespoir et sa douleur qu'à travers le vagissement plaintif qui emplit peu à peu la plaine, car la fumée dégagée par le fusil masque encore à notre vue le tableau pitoyable d'une créature qu'on arrache lentement à la vie. Au fil des minutes, nous pouvons apprécier le résultat : Maître Gerdil était dans le vrai. Le flanc de l'animal s'est littéralement ouvert et laisse cascader sur son corps meurtri des flots de sang écarlate. Le nain me jette un regard entendu, et je réponds par un sourire complice : béni sera le jour où chaque soldat de Theramore sera équipé d'un tel engin.

Mon choix est fait, mais il faut donner à mes gens matière à rire, maintenant. Avec désinvolture, je m'adresse au gobelin :

« A vous de faire mieux, ô génial maître des arts alchimiques et mécaniques ! »

« Ah mais voui, ah mais voui ! »

Sans ciller, il demande à ce qu'on lui apporte son matériel. Sous le regard dubitatif de l'assistance, une brouette promptement lancée arrive sur les lieux de la compétition et déverse aux pieds de Kryllisk un amas gargantuesque de pièces de métal, de matériaux récupérés et d'autres objets douteux dont je ne veux même pas connaître l'origine. Et au milieu de ce capharnaüm, triomphant, il brandit l'objet convoité : une sorte de fusil semblable à l'arme de Gerdil, mais plus lourd, plus massif, et doté de deux tubes ; l'un est translucide, fait dans une matière que je ne connais pas, l'autre est d'un cuivre terni par les âges et bosselé. Voir le nabot tenir à bout de bras cette arme alambiquée et à l'évidence trop lourde pour lui, tout en sautillant frénétiquement, rajoute un grotesque certain à une scène qui n'en avait pas forcément besoin. Je remarque qu'un sac posé aux pieds de Kryllisk renferme un contenu peu orthodoxe, puisqu'il...bouge.

« Fère affiftance, ve fuis très fier et honoré de vous préventer le fleuron de la technologie gobeline, protégé par brevet fpéfial felon les lois de Ratchet ! Mesdames et Meffieurs, ve vous demande d'applaudir (il en fait décidément trop, mais les gens semblent apprécier) ma toute dernière invenfion : le lanfe-félin à fragmentafion par air comprimé. »

Et devant une foule littéralement tétanisée, il s'empare prestement du contenu du sac, sans que nous ayons le temps de réagir. Comme je le subodorais, ce dernier renfermait un animal qui désormais gesticule et miaule, furibond, dans la main griffue de l'ingénieur. Un chat. Même pas, un chaton à la fourrure ébouriffée qui exprime avec force arguments son mécontentement présent (Meeeow ! Sshhrrfff !). La protestation féline, bien que totalement justifiée, se révèle inutile au possible : l'infortuné, ni une ni deux, se retrouve prisonnier du tube translucide de l'appareil. On n'entend plus, dès lors, que des hurlements diffus à travers la vitre (Meow, Mmrrr, Mmmphfff !...), tandis que le visage du projectile (proclamé ainsi sans son consentement, cela va sans dire) montre des yeux exorbités. Enchanté par la bonne marche des opérations, Kryllisk pianote sur une série compliquée de boutons, et voilà que le tube s'emplit lentement d'un liquide. Et d'expliquer :

« Fa, f'est pas pour apprendre au matou à nager, non non non ! (Il explose de rire, et je réalise combien les gobelins sont malsains) F'est un liquide de mon invenfion ! Z'allez voir ! »

Et il tire. Moment d'agonie. Pour le chat. Ce dernier est propulsé à une vitesse stupéfiante en direction du kodo : tout ce que nous pouvons voir de l'action, c'est un boulet de canon velu et trempé, gris-bleu, qui fuse désespérément, inexorablement, vers sa fin. Et là...l'explosion. L'imprévu. Une scène écoeurante, dont le prélude assourdissant fait trembler la terre elle-même sur ses fondations. Puis c'est la découverte macabre. Le chat n'est plus. Le kodo...ce n'est guère mieux. Eparpillé aux quatre coins de la plaine, la chose qui ne mérite plus le nom d'animal est la preuve tangible de la puissance de destruction de l'arme. Là où se tenait la bête enchaînée n'est plus qu'un parterre noirci où se mêlent les restes calcinés de viande, de sang et de végétation. Les membres fumants du kodo gisent alentours.

Le responsable du carnage exulte :

« Hi hi hi, liquide explovif, liquide explovif ! D'la barbaque, d'la barbaque ! »

Gerdil lui-même n'en croit pas ses yeux, et je dois avouer que pour ma part, j'éprouve l'envie irrépressible de me raviser quant à mon choix. Oui...Theramore sera la forteresse de l'Alliance dotée de la puissance de feu la plus destructrice, dussé-je m'allier avec un gobelin pour ça ! Qu'il en soit ainsi.

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Nous convînmes que les deux ingénieurs resteraient deux semaines pour m'aider à comprendre et utiliser cette fameuse technologie (Monfeigneur, vous êtes pas obligé d'utiliver un faton, hein, fa marfe auffi avec les caftors...), puis ils repartiraient pour acheminer l'équipement nécessaire vers Theramore. Le nain avait accepté sa défaite avec une bonne grâce qui lui faisait honneur, et il s'était même lié d'amitié avec Kryllisk.

(Deux semaines plus tard, à Ratchet, Kryllisk et Gerdil devisent gaiement au comptoir d'une taverne locale)

« Incroyable, tout de même, cette machinerie ! Alors ça y est, Theramore a reçu sa marchandise ? Tu as été bien payé ? »

« Fa oui, pour fûr ! V'ai pu m'acheter plein de nouvelles pièfes de rechange à Gadgetzan, plein plein plein ! »

« Et la garnison de la Nouvelle-Alliance a été satisfaite ? Leurs canons doivent être d'une efficacité redoutable, désormais ! »

« V'penfe bien ! V'efpere jufte qu'ils tirent pas trop fouvent avec, f'tout... »

« Comment ça ? »

« Boah, f't'à dire qu'fa marche pas à tous les coups, l'explovion...gloups ! » (et de vider cul-sec le contenu de son verre).

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Le lendemain, une tragédie frappa la citadelle de Theramore. Le Commandeur de la Main d'Argent Wilhem Gerhalt trouva la mort lors d'un essai avec une couleuvrine qui implosa sur place, entraînant avec elle le garde qui manoeuvrait l'engin, un prêtre qui passait par là, et un pêcheur en contrebas qui n'avait pas vu que la tour nord du rempart avait subitement décidé de piquer une tête dans la rivière. Et un castor, aussi.
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