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Les Lames du Crépuscule

Par Samilarah

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

La nuit était claire. Aucune des deux lunes ne brillaient dans le ciel, mais les étoiles constellaient la voûte céleste aux tons crépusculaires. C'était un paysage magnifique, que l'on avait la rare possibilité de voir. Cette région désertique permettait un tel spectacle, et l'on pourrait y demeurer des heures, couché dans le sable, à regarder l'espace.

Mais le silence de la nuit fut rapidement troublé par des pas frénétiques. Une silhouette courait sur le sable. Elle ne s'arrêtait jamais, sauf pour se retourner et se pencher en contrebas, vers d'autres ombres, plus grosses, qui s'avancèrent rapidement vers elle. La silhouette, une petite fille de 8 ans, gémit en apercevant le groupe qui s'approchait de plus en plus. Elle reprit son ascension vers le long canyon qui défilait devant elle. L'enfant semblait déterminée, mais aussi terrorisée. Une sorte de robe couleur prune et à moitié déchirée était son unique vêtement. Ses pieds nus saignaient. Elle ne semblait pas sentir de douleur, pourtant son petit visage était crispé et boursouflé à des endroits. Les autres personnes qui semblaient la poursuivre crièrent, l'appelèrent. Mais l'enfant les ignora et, tremblante, continua sa course.

Le plateau aride montait de plus en plus, ses collines devenaient de véritables montagnes, dont certaines étaient couronnées de neige malgré le désert à proximité. Pour rejoindre les cités les plus proches, la petite devait quitter la région et les traverser. Or rien ne poussait dans cet endroit inhospitalier. Il n'y avait pas un seul arbre, mais des étranges cristaux qui lévitaient à leur place. Les seuls espèces vivantes étaient des insectes, des vautours et les Qiraji, maîtres de la région. Eux aussi étaient partis à sa poursuite. Leurs essaims s'étaient déployés par milliers, aussi bien dans les airs que sur le sable, voire sous les pieds de la petite fille. Elle entendait leurs bourdonnements, mais elle n'avait pas peur. Ce n'était pas ces insectoïdes qui l'effrayaient, mais bel et bien les autres mortels qui la traquaient. Elle les sentait à quelques lieux d'elle, prêts à tout pour la rattraper.

Les heures passèrent et le jour finit par poindre. L'enfant était épuisée, la faim et la soif la rongeaient. Elle s'enfonça dans un canyon pour se cacher de ses poursuivants et partit à la recherche d'une source. Elle en trouva une au bout d'un moment et s'y précipita. Le trou d'eau n'était pas profond, mais elle pataugea dedans pour apaiser ses pieds meurtris. Puis elle but pendant un long moment jusqu'à qu'elle fut désaltérée. Ensuite, elle se recroquevilla dans un trou sombre et ferma les yeux...

Un rugissement la réveilla. Elle sauta sur ses pieds, tous les sens en alerte puis s'approcha vers la lumière pour voir au dessus de la gorge. Quelque chose volait dans les airs, une sorte de créature noire avec de grandes ailes. Lorsqu'elle rugit à nouveau, la petite fille fut saisie d'effroi : c'était un Chasseur qui patrouillait ! Ces pisteurs étaient extrêmement bien entraînés et étaient impitoyables avec leurs proies. La petite tremblait : elle n'arriverait jamais à leur échapper ! Alors elle se cacha dans son trou et attendit. Ils finiront bien par partir à un moment ou un autre...
La petite fille décida enfin de reprendre la route. Elle but à nouveau et longea le mur du canyon pour ne pas se faire repérer. Elle en sortit enfin, regarda tout autour d'elle et courut vers les sommets qui semblèrent grandir au fur et à mesure qu'elle avançait. La température baissa petit à petit, et elle commença à grimper des pentes plus raides. Personne ne la suivit. Mais elle n'était pas rassurée et se retournait sans cesse. A des moments, elle s'effondra sur le sol dur et pleura. La fatigue la tuait, et l'angoisse perpétuel ne faisait qu'empirer l'état de la petite. Puis elle se releva lorsque ses larmes cessèrent, et reprit son périple suicidaire.

Toute la journée elle lutta contre les rochers dentelés qui tranchaient la chair. Elle n'avait plus croisé de sable depuis un long moment, et commençait à saturer. Elle sentait qu'elle allait abandonner lorsqu'elle déboucha dans une vallée ombragée. « Des arbres ! » A la vue des végétaux, la petite fille cria de joie et se précipita vers les pins, oubliant sa douleur. Elle enlaça le tronc d'un arbre et resta collée contre lui pendant un temps infini. Ensuite, elle fouilla le sol à la recherche de racines à avaler. Après avoir réussi à un peu apaiser sa faim, elle se coucha par terre et laissa ses larmes couler. L'enfant n'en pouvait plus. Elle ne voulait plus courir et souhaitait rester couchée ici pour le restant de ses jours. Elle finit même par entendre des oiseaux, ce qui la fit sourire. Leurs chants bercèrent la petite qui finit par s'endormir...

Un énorme tremblement de terre retentit. La petite fille ouvrit les yeux, paniquée. Elle se redressa, tremblante, et se cacha sous un pin. Les vrombissements de la terre cessèrent, mais elle resta immobile, se tenant au tronc comme un enfant accroché à sa mère. Peu après, un rugissement résonna dans la vallée. Les Chasseurs étaient de retour ! L'enfant gémit et chercha un endroit où se cacher. Mais lorsqu'elle se précipita vers les parois rocheuses, un énorme dragon noir atterrit juste devant elle et secoua sa tête frénétiquement. Un homme mit pied à terre, une longue épée à la main, et se tourna vers elle.

- Norân
Tout en l'appelant, il s'avança vers elle, à pas lents.
- Pourquoi t'es-tu enfuie, Norân ?
Sa voix était très calme, avec un ton presque affectif. La petite était paralysée. Elle n'arrivait pas à faire le moindre mouvement, et tentait vainement de fuir le regard de son poursuivant.
- Le Maitre est très en colère. Et il sera encore plus furieux si tu ne te rends pas. Tu sais très bien que tu n'a aucune chance de t'enfuir, Norân.
Des larmes commencèrent à couler sur les joues sèches de l'enfant. Elle le savait qu'elle n'avait aucune chance. Mais elle préférait mourir que de retourner dans cet endroit maudit.

Doucement, l'homme tendit sa main vers elle mais la petite la repoussa avec violence et partit en courant, slalomant entre les arbres. L'autre jura et s'élança à sa poursuite. Au signal de son maître, le dragon s'envola et les suivirent depuis le ciel. L'enfant courait avec force. Elle avait l'impression qu'elle n'était jamais allée aussi vite. En la voyant, on avait l'impression qu'elle volait : elle sauta par-dessus les rochers et tourna autour des arbres avec une souplesse déconcertante. Mais son poursuivant était rapide. Tout en la traquant, il rengaina son arme et prit un grand arc suspendu dans son dos. Il encocha une flèche et visa la petite sans cesser de courir. Le Chasseur ne devait pas la tuer, mais il connaissait parfaitement la fille, et savait comment agir. Il tira sur les pieds de la petite qui s'effondra par terre en hurlant. Aussitôt, il ralentit sa course et sortit une corde d'un sac. La petite arracha la flèche en gémissant et tenta de se relever avec peine. Tout était perdu, elle le savait. Mais elle refusait d'abandonner.

L'homme la saisit au poignet et lui chuchota à l'oreille :

- C'est fini de jouer, Norân. Ta place n'est pas à gambader dans la nature comme une gazelle.
La petite se débattit avec peine tandis que son poursuivant l'attacha fermement.
- Je ne veux pas que tu subisses le courroux du Maitre. Je ne l'ai jamais voulu. Mais cette fois, tu l'as cherch...

Au lieu de finir sa phrase, le Chasseur hurla. La petite l'avait mordu et en profita pour s'enfuir en boitant. L'homme la maudit de tous les noms et tenta de la rattraper. Mais l'enfant ne courut pas bien longtemps et s'arrêta de justesse au bord d'un précipice. La roche s'effritait sous ses pieds sanguinolents et tombait dans un vide qui semblait infini. Le Chasseur banda à nouveau son arc pour dissuader la petite de se rendre. Elle était terrorisée et ne savait plus quoi faire. Dans tous les cas, elle risquait la mort, elle en était certaine. Alors une idée désespérée lui vint à l'esprit : elle s'élança vers la gauche avec toute l'énergie qui lui restait. Le Chasseur voulut l'arrêter et tira sur elle. Mais la flèche se ficha dans le dos de l'enfant qui s'immobilisa. Elle ne poussa pas un seul cri et son corps tomba dans le vide. Il hurla et se précipita pour la rattraper, mais c'était trop tard.
L'homme lâcha son arc et s'effondra au bord du précipice. Il avait échoué...
- Gaaaaarde à vous !

La voix claire et impérieuse de l'elfe résonna dans toute la Caserne. Tous les soldats se rangèrent, le dos droit et la posture impeccable. Le Commandant Lassalle, arrivé droit de Hurlevent, passait dans les rangs et inspectait chaque homme et femme avec un regard inquisiteur. Personne ne soufflait mot, et ce surplus de sérieux manquait de faire tressaillir les pauvres soldats qui priaient intérieurement pour leur affectation. Le haut gradé désignait du menton ceux et celles qu'il choisissait pour rentrer dans l'Armée Royale, et ne prononça un mot uniquement pour laisser un commentaire.

- Je m'attendais à voir un peu plus de muscles, Selarin !

Ce dernier acquiesça, sans perdre son sourire typique de haut-elfe. Il avait l'habitude des traditionnelles railleries du Commandant Lassalle, recruteur de l'Armée, qui passait chaque année dans les différentes cités du royaume. Les gens disaient qu'il était encore plus dur avec les militaires de Comté-du-Lac, ville qui avait tendance à être délaissée militairement parlant. En effet, la réputation de la milice des Carmines n'était pas fameuse, mais le Lieutenant Selarin Asin'diel attachait une importance majeure à la fierté de ses hommes. Ces derniers avaient l'un des meilleurs maîtres d'armes du royaume, et surtout le plus charismatique. Il était le second du Colonel Troteman mais les soldats considéraient l'elfe comme leur véritable supérieur, nettement plus présent que l'humain, toujours aux petits soins du magistrat.

Le Commandant finit enfin sa tournée au bout d'une heure. Il avait enrôlé vingt personnes sur les cent-trente gens d'armes de la Caserne. « C'est beaucoup moins que l'an dernier » songea l'elfe avec amertume. Il sous-entendit sa déception au Commandant qui fit la sourde-oreille et changea de sujet :

- Je dois voir votre supérieur pour signer l'attestation d'enrôlement.
- Il n'est pas à Comté-du-Lac, monsieur. Je le représente pour cette démarche.

Lassalle grommela. « Comme d'habitude ! » lança-t-il en sortant un papier d'un registre en cuir. Il le posa sur une table et Selarin inscrit les noms des recrutés, puis scella la missive.

- Tout est en ordre, Commandant.

Puis tout se passa très vite. Lassalle rangea ses affaires et donna l'ordre de partir à ses nouveaux soldats. Il fit un bref salut au Lieutenant et s'en alla.

Chaque année, c'était le même refrain. Et chaque année, Shiraz vit ses collègues partir avec beaucoup de déception. La jeune femme faisait tout pour avoir l'infime chance d'être intégrée dans l'armée humaine, mais le Commandant n'avait jamais jeté son dévolu sur elle. Et c'était comme ça depuis qu'elle avait douze ans, l'âge à laquelle elle était entrée à la Caserne. Selarin s'était très tôt attaché à elle et l'avait prise sous son aile. Il admirait cette petite qui savait déjà se battre avant même d'avoir intégré l'école militaire des Carmines. L'elfe découvrit que son père, Altaïr, était un vétéran et qu'il lui avait appris les rudiments de la guerre. « Pour savoir se défendre » disait-il. Mais cette prise de précautions s'était transformée en véritable passion pour la jeune fille, qui voulait désormais en faire sa vocation.

Le Quel'dorei voyait sa déception. Il tenta de lui remonter le moral, mais c'était toujours la même chose. Shiraz trouvait qu'elle n'avançait pas. Selarin lui avait tout appris : les exercices d'endurance, la maîtrise des différentes armes, la façon de combattre en fonction de l'environnement, du type d'ennemi, etc... Elle pensa alors que la patience était la seule vertu face à ce remède, chose qu'elle n'avait jamais assimilée. Mais elle fit l'effort d'attendre que son jour arrive, et pour l'instant, seul la Lumière savait quand il viendra.

Le soleil s'achevait de se coucher lorsqu'elle sortit de la Caserne. Livia l'attendait. Cette jeune femme de vingt-trois ans était plus âgée que son amie, mais son air était plus enfantin. Elle démêlait ses cheveux blonds pleins de bouclettes et lorsqu'elle aperçut Shiraz sortir du porche d'entrée, elle lui sauta dessus, comme à son habitude.

- Alors ? fit-t-elle avec insistance. Tu as été prise cette fois ?

Mais Livia se doutait que ce n'était pas vrai. Pourtant elle ne cessait d'être optimiste, pour rendre heureuse son amie qui faisait une triste mine.

- Allez, ne t'inquiète pas ! C'est ce Commandant, je suis sûre qu'il est louche, dit-elle en rigolant. Si c'était un autre recruteur, il t'aurait certainement enrôlé.
- Oui, il y a des chances, dit la guerrière pour se rassurer. Bah, ca fait huit ans que j'assiste à la même chose. Je m'y habitue, t'inquiète pas !

Elles marchaient dans les rues désertes de Comté-du-Lac. La cité lacustre était très animée la journée, mais dès qu'il n'y avait plus de soleil, tous rentraient chez eux et les voyageurs s'agglutinaient devant leurs bières à l'auberge. Shiraz habitait un peu à l'écart de la cité, sur les collines. De leur ferme, ils avaient droit à une vue magnifique sur le lac Placide, et lorsque l'on apercevait les deux lunes par nuit claire, leurs silhouettes se reflétaient dans l'eau croupie du lac. C'était un spectacle que la jeune fille trouvait magnifique.

- Et toi, demanda-t-elle, tu as eu du nouveau au sujet de ton ordination ?
- En effet, raconta Livia. L'évêque de Comté-du-Lac m'a informé que je passerai mon stage dans trois semaines, à Hurlevent.
- Génial, s'exclama Shiraz ! Je suis contente pour toi. Tu va enfin pouvoir devenir prêtresse comme tu l'avais toujours voulue.
- C'est vrai, mais l'ordination de l'Eglise de la Lumière est une épreuve compliquée. Je vais devoir passer pleins de sous-épreuves différentes qui explorent toutes les professions du Clergé. J'ai peur de ne pas tout supporter.
- Allez, lui lança Shiraz en lui tapant l'épaule, tu vas y arriver. Toi t'est une guerrière spirituelle, hein !
- Haha, tu l'a dis, s'esclaffa son amie !

Les filles partirent dans un fou rire. Elles se disaient tout, telles des soeurs. Pour Shiraz, Livia faisait presque partie de la famille, tant elle fréquentait la demeure d'Altaïr. Leurs parents étaient moins proches que ne l'étaient leurs filles, mais l'harmonie régnait entre eux, et Shiraz avait parfois l'impression d'avoir la chance de mener une telle vie.

Shiraz vivait seule avec son père. Elle n'avait jamais connue sa mère morte en couches, ce qui fit qu'elle développa un caractère d'homme, malgré un physique féminin assez bien conservé. Ses longs cheveux raides et noirs tombaient sur sa peau cuivrée, signe qu'ils n'étaient pas originaires des Royaumes de l'Est. Altaïr lui avait raconté qu'ils venaient des cités libres de Kalimdor, dans lesquelles des populations humaines vivaient en toute indépendance. La jeune fille n'avait en effet aucun souvenir de son enfance sur le continent sauvage, ce qu'elle trouva de plus en plus étrange au fur et à mesure que les années passaient. Mais lorsqu'elle en parla autour d'elle, tous lui répondirent que c'était normal, que lorsque l'on voyage souvent, les souvenirs se mélangent et l'on les perd. Car avant de s'être installés ici, dans les Carmines, la petite famille avait erré longtemps avant de trouver un endroit où s'installer.

Altaïr avait songé une année à marier sa fille, mais lorsqu'il lui en parla, Shiraz s'empourpra avec une telle force qu'elle fugua même pendant une semaine, tant son père insistait. C'était une réaction typique de la jeune fille. Elle détestait les femmes, surtout les stéréotypes à leur encontre : se marier, faire des enfants, gérer le ménage et ne pas avoir le droit de porter les armes si l'on n'était pas militaire... Rien que ce dernier exemple, elle le trouvait scandaleux. Pourtant Altaïr ne cessait de songer avec inquiétude à son avenir. Que sa fille rejoigne l'armée était un projet qui ne lui plaisait pas. Il avait tellement peur de perdre la dernière personne de sa famille, mais encore moins de la voir subir les horreurs qu'il avait connu par le passé lorsqu'il était soldat.

Pourtant il tolérait qu'elle apprenne à se battre, trouvant même cela nécessaire. Il lui apprit tout ce qu'il savait sur les organisations dangereuses d'Azeroth, comme la Légion Ardente ou le Fléau, ainsi que le Marteau du Crépuscule qu'il connaissait bien. Quand il vivait en Kalimdor, Altaïr avait souvent participé à des raids auprès des elfes de la nuit pour contrer la secte qui ne cessait de harceler leurs défenses. Il en avait même gardé des marques : deux longues balafres qui coupaient ses yeux à la verticale. Un assassin aurait tenté de le tuer avec ses dagues empoisonnées, mais Altaïr était quelqu'un de robuste, et y avait survécu. Depuis, Shiraz adorait quand son père lui racontait ses campagnes contre le Marteau du Crépuscule. Elle était fascinée par cette secte, même si leurs actions étaient affreuses. Lui aimait de moins en moins en parler, et tentait souvent de couper court la conversation en changeant de sujet.

La nuit du Cataclysme, une faille énorme avait déchiré le sud de Comté-du-Lac et s'était très vite refermée. Les habitants avaient assistés, impuissants, à la perte de leurs foyers, et des feux s'étaient déclarés, manquant de peu de ravager toute la ville. Du haut de leur colline, Shiraz et Altaïr avaient été à l'abri, mais depuis cette catastrophe naturelle, l'ancien soldat devenait beaucoup plus anxieux. Il avait fait renforcer les murs de la ferme et avait construit une nouvelle clôture autour de leur terrain. Il ressortit même ses armes qu'ils n'avaient pas touchées depuis des années. Le soir, il restait plongé dans ses livres et ses rapports de guerre qui concernaient le Marteau du Crépuscule. Shiraz voulait savoir ce qui le tracassait, mais lorsqu'elle lui posait la question, il ne fit que grommeler, de sorte qu'elle n'apprit rien du tout.

Mais les jours passèrent paisiblement à Comté-du-Lac. Quand elle s'ennuyait, elle se rendait chez des voisins pour se rendre utile. A la Caserne, Selarin lui avait même confié un groupe de jeunes et Shiraz s'en donnait à coeur joie à leur apprendre ses techniques favorites. Et lorsqu'elle rentra ce soir-là, sa déception s'évapora aussitôt. Peu importe si le Commandant Lassalle ne l'avait toujours pas recruté. Elle aimait la vie qu'elle menait. Son père, ses amis, la Caserne, et même Misaï leur jument. La seule chose qu'elle redoutait terriblement, c'est que tout ceci lui soit enlevé...
Ce matin-là, un épais voile gris masquait le soleil. L'air était humide, les nuages risquaient de déverser des trombes d'eau à tout moment. Shiraz s'ennuyait. Elle n'avait jamais rien à faire lorsqu'il pleuvait, préférant de loin s'entraîner dehors, à l'ombre des platanes. Son père profitait de l'accalmie pour panser Misaï, leur jument bai, et nourrir les poules, malgré leur excitation agaçante due au mauvais temps qui se préparait.
La jeune fille en profita pour faire le ménage. Sa petite chambre était toujours bien rangée. Mais à force de passer la plus grande partie de ses journées à l'extérieur, la poussière et les feuilles mortes s'accumulaient lorsqu'elle rentrait avec ses vêtements d'homme et ses épées toutes ébréchées. C'étaient de simples lames d'entraînement en acier qu'elle avait achetées au marché de Comté du Lac. « Fini, les épées en bois ! J'ai passé l'âge ! » disait-elle de façon un peu hautaine. A la Caserne, ils apprenaient aussi à manier d'autres armes, mais Shiraz avait forgé ses préférences. Elle avait une telle maîtrise de ses deux mains qu'elle s'aimait à dire qu'elle était née ambidextre, chose normalement impossible. Contrairement à la plupart, elle ne trouvait pas cela étrange et en était fière.

C'est alors que la jument hennit avec force. Puis on entendit un énorme boucan dans la cour. Shiraz sursauta. « Mais c'est quoi ce raffut ! » Elle se leva quand elle entendit des voix humaines qui criaient dans une langue étrangère. D'un coup, la jeune femme se rua à la fenêtre, tous les sens en alerte. Devant elle, l'écurie brûlait. Misaï hennissait de terreur et un groupe d'hommes encapuchonnés regardaient le feu s'élever. Soudain, l'un des hommes se retourna et regarda dans la direction de la guerrière. Elle recula, mais trop tard. On entendit crier un ordre et les deux hommes s'élancèrent dans la maison, tandis que le reste du groupe partit dans la forêt en traînant quelqu'un. Shiraz reconnut le prisonnier : c'était son père ! Elle jura, saisit ses épées et dévala l'escalier, mais les deux sbires venaient d'entrer dans la maison. A sa vue, ils dégainèrent leurs armes et se précipitèrent sur elle qui fit demi-tour et barricada sa chambre avec des meubles. Puis elle escalada sur le toit, tandis que ses poursuivants enfonçaient la porte qui ne mit pas longtemps à céder. Shiraz chercha un moyen de descendre, mais ce n'était qu'une chute vertigineuse autour d'elle. Puis les inconnus arrivèrent à leur tour sur le toit. La jeune fille était coincée. Rien ne s'offrait à elle pour descendre. A moins que... une idée germa dans son esprit : elle s'élança dans le vide et atterrit dans un énorme tas de paille qui l'amortit. Aussitôt, elle se releva et se précipita dans les flammes pour libérer la jument terrifiée. Son licol s'était emmêlé et Shiraz galérait à le défaire. Alors, elle prit les grands moyens et sectionna la corde avec son épée. Puis le cheval s'élança vers l'air libre et s'enfuit dans la forêt. Au moment où elle sortit, une flèche frôla sa tête et se ficha dans une planche. Ses poursuivants étaient sur le point de lui tomber dessus. Shiraz ne réfléchit pas deux fois : elle traversa les flammes et s'élança dans les bois pour retrouver son père.

Elle courut pendant un long moment lorsque l'un des hommes déboula d'un arbre, son arc prêt à tirer sur la jeune fille. Elle dégaina ses armes lorsque le second homme apparut derrière elle, une dague à la main. Il se jeta sur elle mais Shiraz l'esquiva de justesse et para l'attaque. Ces inconnus commençaient à bien l'énerver. « Ils vont me faire perdre du temps, ces deux-là » Elle garda son calme et les attendit de pied ferme. Alors l'archer disparut d'un coup derrière des chênes. L'autre profita de l'étonnement de la jeune fille pour lui sauter dessus. Il manqua son coup mais l'écrasa sous son poids. Shiraz se dégagea du mieux qu'elle pouvait mais l'homme resserra ses jambes autour d'elle et appuya sa tête contre le sol. Elle suffoqua et mangea de la terre. Ses mains brassaient le vide tandis que son agresseur soulevait sa tête par les cheveux pour l'étouffer avec un mouchoir. Shiraz commençait à voir flou, mais sa main tomba de justesse sur son épée. Elle la saisit et asséna un coup violent dans les côtes de son ennemi. Il hurla et relâcha la pression, ce qui permit à la jeune fille de se dégager. Elle se leva rapidement et se retourna juste à temps pour embrocher l'assassin qui faillit la blesser. Son corps s'affala par terre, sans aucun spasme.
Shiraz souffla et resta un moment en alerte. Une sorte d'ivresse l'envahit à la vue de tout ce sang. Elle venait alors de se rendre compte de son acte : elle avait abattu un humain ! Les seules fois qu'elle tuait, ses victimes étaient des animaux, des gnolls et même quelques orcs lors d'une mission de la Caserne. Mais jamais elle n'avait fait couler le sang d'un membre de sa race. « C'était de la légitime défense » se rassura-t-elle. Elle récupéra sa seconde épée et reporta son attention sur sa victime. Ses vêtements étaient d'un violet sombre et son visage recouvert d'une capuche. Elle s'accroupit prudemment de lui et dégagea son visage. Elle recula d'un coup. Deux longues balafres noircies traversaient chacun de ses deux yeux. Shiraz pâlit : elle venait de tuer un sectateur du Marteau du Crépuscule ! Elle n'en revenait pas ! Que faisaient ces fanatiques chez eux ? Son père lui avait appris à les reconnaître. Il soupesait qu'avec les temps qui courent, il fallait mieux être prudent. Mais le fait que ces derniers s'étaient soudainement attaqués à eux l'inquiéta. Elle devait aider son père coûte que coûte ! Shiraz retourna la tête du mort pour ne plus voir ces horreurs et s'élança vers elle ne savait où.

Elle courait. Elle esquivait les branches, les buissons traîtres qui s'accrochaient à elle, chuta plusieurs fois, mais repartit de plus belle. Les premières gouttes tombèrent des nuages noirs. C'est alors que le second sectaire la devança de l'autre côté des arbres. Il banda son arc sans ralentir l'allure. « Il faut que je le sème, celui-là ». L'archer tira sur la jeune fille mais la manqua. Elle ralentit et vira à droite. L'autre le remarqua et en fit de même, sans cesser de lui tirer dessus. Puis Shiraz sprinta d'un coup. Elle courait aussi vite qu'elle le pouvait jusqu'à ce qu'elle le perde de vue.
Elle déboucha alors au bord d'un précipice. Un chemin serpentait le long de la paroi jusqu'à une rivière qui donnait un peu plus loin dans le lac Placide. La jeune fille aperçut alors Altaïr, apparemment inconscient et toujours traîné par trois sectaires. Elle chercha un moyen de les intercepter, mais seule contre trois, elle aurait beaucoup de mal...
Soudain, elle tomba dans le vide. Elle s'agrippa de justesse à une racine, manquant de se fracasser contre les rochers. Qui l'avait poussée ? Elle grimpa le long de la paroi qui s'effritait. Ses mains glissaient à cause de la terre mouillée par la pluie, mais l'escalade était l'un de ses points forts ! Quand ses mains atteignirent le sommet, quelque chose les écrasa. « Aïe ! » Elle redressa la tête, se retrouvant nez à nez avec son poursuivant. C'est alors qu'elle distingua plus nettement les longues cicatrices noires qui dépassèrent de sa capuche, comme son confrère. « Ils n'ont pas envoyés des mercenaires à leur solde, songea-t-elle, mais des Chasseurs, leurs propres assassins ! Pourquoi ? » Comme s'il avait lu dans ses pensées, le Chasseur planta l'une de ses flèches dans la main droite de la jeune fille. Elle hurla. Son autre main était toujours plaquée sous sa botte et virait au blanc. Elle ravala ses gémissements avec peine et tenta vainement de dégager sa main gauche. Peine perdue.
C'est alors que l'homme l'attrapa à la gorge et la souleva. La flèche finit par se déloger du sol, ce qui la fit arracher un nouvel hurlement de douleur. Il la maintint d'un seul bras dans les airs tandis qu'elle suffoquait. Les gouttes de pluie lui tombaient dans le visage. Elle ne voyait plus rien. Mais soudain, une explosion éblouit la scène et Shiraz se retrouva par terre. Elle entendit son agresseur hurler, puis s'effondrer à côté d'elle, le corps à moitié brûlé. Shiraz paniqua d'un coup et regarda dans tous les sens. Mais à force de s'agiter, elle fut prise d'un malaise et perdit l'équilibre. Une voix féminine l'appela par son nom, mais lorsqu'elle voulut répondre, elle perdit connaissance...

*


Shiraz se réveilla avec difficulté. Elle avait mal à la tête et la blessure à sa main droite lui piquait. Après avoir ouvert les yeux, elle la contempla : un bandage en lin la recouvrait. La jeune fille poussa un soupir de soulagement en remarquant qu'elle était dans son lit. Mais les souvenirs de la veille lui revinrent en tête avec fracas : l'écurie qui brûlait, les sectateurs, son père... Son père ! Elle sauta du lit et se précipita dans la cuisine : il était là, assis avec Livia. Shiraz se jeta dans ses bras, malgré sa main qui lui faisait mal.

- Oh mon Dieu, tu es vivant !
- Shiraz ! Ne t'en fait pas, je vais bien, dit Altaïr pour la rassurer.

Elle courut embrasser son amie. Cela faisait plaisir à Shiraz de la voir, après tout ce qui s'était passé la veille. Puis elle demanda comment son père s'en était sorti.

- Livia est venue à mon secours, expliqua Altaïr. C'est elle qui t'a sauvé de ton agresseur et qui a attaqué les sectaires qui m'avaient capturé.
- Heureusement que tu étais là, soupira Shiraz avec soulagement. Merci, vraiment !
- De rien, répondit la prêtresse en souriant. Je suis passée chez vous et j'ai vu ce bazar, alors j'ai suivi des traces qui partaient vers la rivière jusqu'à que je vous retrouve.

« Tant mieux, alors ! Tout est rentré dans l'ordre » se dit-elle. Quoiqu'un doute subsista. Il restait une chose qu'elle ne comprenait pas, et elle demanda :

- Pourquoi le Marteau du Crépuscule s'en est pris à nous ?

Pour toute réponse, elle reçut le silence. Apparemment, son père l'ignorait, et Livia était encore moins en mesure de le savoir. Mais elle pressa Altaïr du regard : il semblait gêné.

- Papa, c'était des Chasseurs qui s'en sont pris à nous ! Tu ne trouves pas cela étrange ?
- Des Chasseurs ? Qui sont-ils ? demanda Livia.

Son amie expliqua :

- Ce sont des assassins du Marteau du Crépuscule qui traquent les anciens membres de la secte. Lorsque l'on rejoint cette organisation, on ne peut en sortir. Tous ceux qui la quittent, enfin, s'ils y arrivent, sont considérés comme des traîtres et sont pourchassés.
- C'est bizarre, tout ça. Pourquoi ont-ils alors envoyés ces Chasseurs contre vous ? Vous n'avez aucun rapport avec cette secte, si je m'abuse.
- Oh non, ne t'en fait pas, se défendit Shiraz. D'ailleurs, je n'ai absolument pas envie de rejoindre leur organisation de fanatiques ! Même Altaïr déteste cette secte.

Elle se retourna vers son père en disant ces mots. Il n'avait pas soufflé mot depuis le début de la conversation. Mais en voyant sa fille la toiser avec insistance, il confirma ses dires. Puis il prit enfin la parole :

- Tu as raison Livia, ces fausses accusations contre nous sont ridicules ! Je ne pense pas que ce genre d'attaque ce soit passé seulement chez nous. Avec les derniers événements qui se sont produits en Azeroth depuis quelques mois, et la secte qui prend de l'ampleur à vu d'oeil, cela ne peut pas être un cas isolé.

Shiraz n'était pas tout à fait d'accord avec lui. Ils avaient quand même voulu kidnapper son père, et non tout simplement le tuer, voire le forcer à se convertir. De plus, l'un de ses agresseurs avait voulu l'endormir avec un mouchoir, comme s'ils voulaient l'enlever elle aussi. Cela avait-il un rapport avec son passé ? Quelque chose de pas net était derrière tout ça. Mais elle préférait ne pas déclarer d'hypothèses sans preuves, et garda cela pour elle.

- Enfin bref, conclut son père, le principal, c'est que l'on soit tous en vie. Il faudra être plus prudents la prochaine fois, et ne pas hésiter à contacter la milice si jamais vous voyez quelque chose d'inhabituel.

Tous étaient d'accord. Ils stoppèrent la conversation et reprirent leurs activités habituelles.

Shiraz n'arrivait pas à s'ôter cet événement de la tête. Elle était accablée de doutes. « C'est étrange. Je ne suis pas aussi songeuse en temps normal... » Elle eut alors l'impression que des centaines de voix lui chuchotaient dans sa tête. Des mots incompréhensibles que Shiraz n'arrivait pas à chasser. Cela lui donna mal à la tête...
- Shiraz ?

La voix de Livia la fit sursauter. Elle se retourna sur un soubresaut, comme si l'on venait de la faire sortir d'un cauchemar.

- Tu vas bien ? s'inquiéta la prêtresse.
- Oui... ca va. Ce n'est rien.

Cela ne sembla convaincre aucune des deux filles. Mais Livia serra son amie contre elle et dit :

- Je vais rentrer. J'ai mes affaires à préparer pour mon départ.
- D'accord. On se voit demain, en ville ?
- Pas de soucis. En priant pour qu'il y ait du beau temps !

Shiraz était d'accord. Demain c'était le début de la foire d'Estevent à Comté-du-Lac. L'on trouvait de tout là-bas : des produits alimentaires, des armes de toutes sortes, des objets divers ou encore des nouvelles et récits venant des quatre coins d'Azeroth. La jeune femme trouvait toujours une bagatelle qui lui plaisait et aimait discuter avec les marchands. Mais cette fois, elle comptait s'y rendre pour se changer les idées.

- Alors à demain !

Livia salua Shiraz et son père puis s'éloigna sous la pluie qui tombait depuis la veille...
Ce matin, un ciel sans nuage recouvrait toutes les Carmines. Shiraz trépigna de joie. « Apparemment, il y a des dieux qui ont entendu nos prières » Elle s'était levée tôt pour préparer la charrette qu'ils utilisaient pour les occasions. Misaï était plus un étalon qu'un cheval de trait, et porter des charges n'étaient pas pour lui plaire. Mais la petite famille n'avait pas le choix. La jument était leur seul moyen de transport, aussi bien de charges matérielles que de personnes. Altaïr se leva plus tard, encore fatigué par ce qui lui était arrivé il y a deux jours. Il était étonné de l'enthousiasme que sa fille avait à vouloir tant aller à la foire. Il lui donna un coup de main pour les finitions et, lorsqu'ils furent prêts, ils descendirent vers le centre du village.
Le bourg était très animé. Il y avait un monde pas possible, et pas seulement de la région. La foire d'Estevent n'avait pas la renommée de Sombrelune, mais était très appréciée de tout le royaume. Livia était déjà présente. Elle était un peu déçue que son départ se situe en même temps que le début des festivités, mais les dates qu'imposait l'Eglise devaient être respectées au pied de la lettre. Shiraz la rejoignit et les deux filles partirent de leur côté, laissant Altaïr vaquer à ses occupations.

*


- Soixante-cinq pièces d'or ?

Shiraz n'en revenait pas ! Elle avait littéralement posé son regard sur un magnifique arc darnassien, crénelé de filigranes et bandé d'une triple corde assurant une extrême résistance. Mais lorsque le Kaldorei lui annonça le prix, elle tomba des nues.

- Et encore. Je le vends plus cher en temps normal.
- Vous voulez m'arnaquer plutôt, rouspéta la jeune femme. Un simple arc comme celui-là ? Ca vaut la moitié du prix, au moins.
- La simplicité ne signifie pas forcément la valeur, mademoiselle, contra le marchand elfe avec une pointe d'orgueil. Cette arme est très efficace sur le champ de bataille. Si vous cherchez un arc de chasse, je vous conseille ceux-là. Leurs prix sont nettement plus raisonnables si soixante-cinq pièces d'or est trop... audacieux pour vous.

Il se retourna avec dédain et lui montra d'autres arcs nettement plus petits et moins chargés d'ornements. Mais leurs prix s'arrondissaient à une trentaine de pièces d'or. C'était une bonne affaire, mais Shiraz préférait miser dans quelque chose de meilleure qualité. « Ces arcs, je suis capable de les fabriquer moi-même » songea-t-elle en haussant les épaules.

- Bon. Je vais y réfléchir, déclara-t-elle à l'elfe de la nuit.
Elle quitta l'étal et laissa le marchand songeur, les bras croisés en signe de frustration.

Après la déception elfique, Shiraz rattrapa son amie près d'un étalage de bijoux. Elle pâmait devant des sautoirs en oeil de tigre magnifiques. La guerrière ne s'intéressait pas trop à ce genre d'attraits féminins, même si les seuls bijoux qu'elle aimait revêtir étaient des bagues. Elle en mettait moins aujourd'hui, mais avait toujours aimé en porter, une chose rare chez une garçonne comme elle.

- Je peux vous aider ? interpella le commerçant à la peau basanée.

Il avait un accent oriental et des vêtements de soie multicolore, supposant sa venue des cités du Kalimdor. Shiraz remarqua que sa peau était encore plus foncée que la sienne. « Tiens, il y a plus sudiste que moi ! »

- Je cherche un collier qui irait avec une robe bleue ciel, expliqua Livia.
- Hummm... Laissez-moi regarder.

Il fouilla l'étalage à la recherche du sautoir parfait. Il finit par en saisir un : fait de pierres d'ambréine et de filigranes d'argent qui s'enroulaient autour des pierres jaunes. Lorsqu'il le montra à la jeune prêtresse, cette dernière ouvrit de grands yeux. « Quelle beauté ! » murmura-t-elle à son amie.

- Vous voulez l'essayer ?
- Avec plaisir, sourit Livia.

Il sortit de son comptoir et lui attacha dans la nuque. Tout en les observant, Shiraz remarqua une curieuse marque sur l'avant-bras du marchand. Un cercle orné de rayons qui partaient vers le haut. En son centre était dessiné un marteau. Shiraz écarquilla les yeux et retint son souffle. Elle connaissait cette marque : c'était l'emblème du Marteau du Crépuscule. « Oh non ! C'est pas bon signe ça » Livia avait tout juste fini de payer qu'elle l'entraîna par le bras.

- Merci beaucoup, monsieur, fit Shiraz avec un faux sourire.

Puis elle tira Livia loin de son étalage jusqu'à qu'il soit hors de vue. Cette dernière la lâcha d'un coup sec :

- Mais qu'est-ce que tu as, Shiraz ? Tu as vue un ours ou quoi ?
- Pire, dit la guerrière en haletant et en regardant de droite à gauche.

Livia ne comprenait pas ou elle voulait en venir.
- Il portait la marque du Marteau du Crépuscule, Livia, expliqua Shiraz devant son incompréhension. C'est l'un des leurs !

La prêtresse se mit à rire.

- Et tu crois qu'il va dégainer son poignard pour nous assassiner ?
- Arrête, ce n'est pas drôle du tout. Surtout après ce qu'il s'est passé avant-hier. La secte a l'habitude de s'infiltrer partout. Il pourrait arriver n'importe quoi...
- Il aurait pu aussi mieux cacher son tatouage, tu ne trouve pas, contredit Livia.

Shiraz ne répondit pas. Elle avait raison. Ce soupçon était ridicule.

- Il doit s'agir d'un simple sectaire, ou une personne qui s'est tout simplement converti. Ne t'inquiète pas !

« Je veux bien, mais qu'une personne pareille vienne dans un trou paumé comme les Carmines... C'est un poil louche. » Elle tenta d'oublier cet incident et les deux amies reprirent leur promenade à travers les rues animées du village.

Elles s'arrêtèrent à midi à une guinguette en plein air disposée pour les visiteurs et les forains. Shiraz commanda un goulasch, plat typique des Carmines, tandis que Livia se contenta d'une soupe bien chaude et pleine de légumes différents. Elles n'arrêtèrent pas de discuter de toutes leurs trouvailles, les conneries qu'elles avaient entendues et de ce qu'elles prévoyaient de faire cet après-midi. Au bout d'un moment, Shiraz entendit la voix de son père. Il commanda un plat et s'installa à côté d'elles.

- Alors, on s'est fait plaisir ? lança-t-il d'un ton jovial.
- Livia a encore dévalisé tous les joailliers de la foire...
- Et Shiraz a failli se faire arnaquer par un Kal'dorei ! ajouta la prêtresse en la regardant avec malice.
- Un elfe de la nuit qui joue au gobelin ! Elle est bien bonne celle-là, s'égaya Altaïr en finissant son assiette.

Ils rigolèrent un bon moment devant les regards intrigués des autres clients. Puis Altaïr reprit son sérieux et changea de sujet :

- J'ai discuté avec Selarin ce matin. L'un de ses frères qui venait d'Hurlevent lui a raconté que la capitale allait mal. Apparemment, il y aurait eu plusieurs manifestations du Marteau du Crépuscule qui auraient tourné aux émeutes. Il y a eu également un attentat le mois dernier à la banque centrale qui aurait fait une vingtaine de morts.

Les deux filles ne soufflaient mot. Livia se mit à trembler. Elle était en train de penser avec panique à son départ pour Hurlevent. Shiraz comprit de suite et la regarda avec inquiétude.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? s'enquit sa fille.
- Certainement que l'attaque que l'on a subi n'était pas un cas particulier. Et surtout, que nous sommes en sécurité nulle part. C'est pour ça que je vous demande de faire bien attention à vous. Même toi, Livia...

Devant sa mine déconfite, il se reprit vivement :

- Ne t'inquiète pas. Ces événements sont rares et exceptionnels, et au sein de l'Eglise, tu seras bien plus en sécurité que dans les quartiers malfamés de la capitale.

Livia se détendit. Elle lui faisait confiance. Altaïr était quelqu'un de gentil et d'intelligent qui se souciait énormément du bien-être des autres. Pourtant il détestait que l'on lui fasse la remarque, assurant qu'il n'avait pas toujours été comme ça par le passé. Shiraz pensait qu'il avait du changer de comportement depuis qu'il était devenu père. Mais peu lui importait. Elle l'aimait profondément, ce qu'elle considérait comme le principal.

*


Ils rentrèrent au coucher du soleil, la charrette pleine d'objets divers. Altaïr avait confectionné une réserve de viandes fumées et d'épices pour le mois de Septembre qui s'approchait et avait trouvé une nouvelle corde pour son arc. Shiraz s'était achetée de nouvelles bottes en cuir robuste et les portaient avec fierté. Lorsqu'ils libérèrent Misaï de cet horrible fardeau et qu'ils déballèrent le chariot, Altaïr en sortit un grand paquet en tissu et le montra à sa fille :

- J'ai un cadeau pour toi.

Son visage s'illumina et elle s'empressa d'ôter les chiffons. Elle en sortit deux magnifiques épées à la lame d'ébène. Le pommeau était recouvert de bandes de tissus noires et rouges qui flottaient et qui s'agrémentaient parfaitement avec l'acier sombre. L'arme en soi n'était pas trop longue, à peu près de la taille d'un glaive, et sa lame peu large, de sorte que l'épée convenait parfaitement à une femme. Shiraz ne cessa de les contempler sous tous leurs angles. Elle frôla le tranchant aiguisé avec une précision surprenante et lissa les bouts de tissus qui pendaient comme des colliers. Cet ornement rudimentaire lui plaisait bien. Elle se mit en position de combat et exécuta des mouvements d'attaque, para des coups invisibles, esquiva et pointa le vide du bout de ses lames et s'amusa même à trancher quelques têtes. Après s'être amusée, elle regarda son père qui observait ses réactions depuis tout à l'heure. Elle lui fit un énorme sourire, posa délicatement ses lames au sol et se jeta dans ses bras.

- Quel cadeau magnifique ! s'exclama-t-elle. Merci mon papa, merci !
- Je savais qu'elles te plairaient. Je les ai trouvées chez un armurier gilnéen qui vendait de très belles pièces. Il m'a dit que ces épées étaient en obsidium.
- Cette couleur noire rend tellement bien, acquiesça Shiraz en ramassant les épées.
- C'est vrai, sourit son père. Le marchand m'a dit que l'obsidium était un métal résistant qui ne soulignait pas les marques et les entailles que les lames pourraient subir. Ainsi, elles garderont toujours un effet neuf, même si elles se retrouvent toutes ébréchées.

Cela plut à Shiraz. Elle rêvait de changer ses lames toutes simples qui commençaient sérieusement à rendre l'âme. Maintenant, elle avait de nouvelles épées magnifiques et résistantes. Elle pensait déjà aux réactions des autres de la Caserne lorsqu'elle leur montrera son cadeau. Elle fit un énième câlin à son père, puis ils retournèrent dans la chaumière pour ranger le reste de leurs affaires.

Livia passa chez eux le soir. Elle était enfin prête et était un peu angoissée. Shiraz et son père firent tout pour la rassurer et lui donnèrent un milliard de conseils. La jeune femme devait partir le lendemain aux aurores, l'heure à laquelle la première diligence s'en allait pour Hurlevent. Il fallait qu'elle arrive avant midi à la Cathédrale, ou un entretien avec les évêques l'attendait.

- Tu vas me manquer, soupira Shiraz en la serrant contre elle.
- Je t'écrirais chaque semaine, lui promit son amie. Je te raconterai mes déboires, ne t'inquiète pas.

Elles rirent doucement. Les filles restèrent ensemble un long moment à se raconter des histoires, puis Livia décréta qu'elle devait rentrer. Avec une pointe de tristesse, elle fit un dernier salut à la famille, puis disparut dans la nuit. Shiraz referma la porte et ferma les yeux. « S'il y a vraiment une sainte Lumière qui régit nos destins, alors qu'elle la protège »...
- Tu sais comment un gnome couturier fait pour trouver des étoffes ?

Sorth venait de lancer l'une de ses traditionnelles blagues, comme c'était de coutume à chaque repas. A la Caserne de Comté-du-Lac, ce n'était pas un cliché que de joyeux drilles en train de conter tout et n'importe quoi, comme s'il s'agissait de quelques héros d'Azeroth ayant bravés de nombreux dangers. Sorth, en effet, était un trentenaire un peu bourru qui avait la manie d'animer les soldats, que ce soit à table comme aux entraînements.

- Allez ! Encore une devinette à deux cuivres, marmonna son frère Kelrus. Il ne me soule pas suffisamment à la maison avec son humour...
- Mais non voyons, soupesa Shiraz, elles sont juste un peu tirés par les cheveux, ses blagues ! Tu préfère qu'il passe son temps à pleurer, comme l'autre Fresne, là-bas ?

- Plutôt le noyer dans le lac, oui ! Je suis son frère, mais pas au point de devoir le chouchouter !!

Shiraz s'esclaffa de rire. Excepté l'humeur maussade de Kelrus, le reste de l'assemblée était, comme toujours, hilare ce midi. De plus, c'était en ce moment la Fête des Brasseurs, alors les soldats avaient droit à deux fois plus de bière que d'habitude. Excepté Selarin qui préférait des spiritueux plus "nobles", mode haut-elfe oblige, les autres n'avaient pas hésités à se resservir, malgré les crises de l'intendante de la Caserne : en effet le stock monstre de bières arrivé droit de Kharanos se vidait à une vitesse fulgurante. Et Shiraz comptait bien se détendre et profiter de l'événement, comme tous ses confrères.

- Alors, insista Sorth, personne n'a trouvé la réponse ?
- Ben vas-y, on t'écoute, lui intima le maître d'armes, son éternel sourire au visage. Je pense que la bière a un peu... altéré le cerveau de tes collègues !

Tout le monde réagit à la vanne de leur professeur. Après le boucan, le silence se fit pour écouter la fameuse solution :

- Comment un gnome couturier s'y prend pour trouver des étoffes ? Eh ben, il fabrique un gobe-lin !

Et ce fut l'hilarité générale. Même Shiraz trouvait cette devinette tellement débile qu'elle ne pouvait s'empêcher de rire. Et le brouhaha reprit. Un autre lança une blague encore plus con que celle du pauvre Sorth, rouge de joie d'avoir réussi sa plaisanterie, mais les soldats, tous âges confondus, l'ignorèrent et continuèrent à rire, achevés par leur ivresse, pendant tout le déjeuner.

La jeune fille était en pleine discussion stratégique sur l'efficacité de ses nouvelles armes qu'elles montraient avec fierté à une coéquipière. Cette dernière était fascinée par le métal noir et ne cessait lui demander combien les lames avaient coûtés. C'est alors que Kelrus débarqua et interpella Shiraz :

- Qu'il y a-t-il ? lui demanda-t-elle.

Pour toute réponse, il pointa du doigt une épaisse fumée venant de l'ouest. Elle montait haut dans le ciel et dégageait une odeur de brûlé dans toute la ville. Les jeunes soldats s'interrogèrent du regard.

- Je vais prévenir Selarin, lança t'il en courant, tandis que les filles étaient braquées sur la fumée noire. D'autres personnes les imitèrent au fur et à mesure, et certaines lançaient des exclamations d'inquiétude.

Quelques minutes plus tard, l'homme revint et appela Shiraz. Quelqu'un la cherchait. Elle le suivit et arrivèrent au porche d'entrée de la Caserne. Le maître d'armes était en pleine discussion avec une dame que Shiraz reconnut bien vite : Alma Jainrose, sa voisine. Elle semblait terrorisée et faisait de grands gestes maladroits à l'elfe qui tentait de la calmer. A l'approche de Shiraz, elle se jeta sur elle et lui dit d'une voix paniquée :

- Oh Shiraz ! La Lumière te bénisse ! Je t'ai cherchée partout ! Tu n'imagine même pas comme je...
- Oh, doucement Madame Jainrose, la coupa-t-elle. Qu'avez-vous ? On dirait que vous avez vue un ettin !
- Pire, jeune fille, pire, insista la fleuriste. Je croyais que tu avais disparue, voire prise par les flammes. Oooohhh...
- Mais enfin, insista la guerrière d'un air amusé, que s'est-t-il passé ?
- Tu n'es pas au courant ?

Alma lui montra la fumée noire :

- Votre ferme, elle brûle !

Shiraz perdit aussitôt son sourire.

- C'est arrivé d'un coup, continua sa voisine, alors je me suis précipitée, mais Monsieur Altaïr n'était nulle part. J'ai beau le chercher, aucune trace de lui...

« Papa !! » Shiraz ne réfléchit pas deux fois et s'élança dans la rue, devant les yeux médusés des autres.

- Kelrus, ordonna Selarin en se reprenant, avec moi ! Vous, restez ici.

La fleuriste obtempéra et les deux guerriers partirent sur les traces de Shiraz.

Elle courut le plus rapidement qu'elle pouvait, focalisée uniquement sur son père. « J'espère que ce n'est pas encore un coup de cette maudite secte » songea-t-elle, anxieuse. Elle grimaça et se fraya un chemin dans la foule qu'elle bouscula à plusieurs reprises. Ces derniers ne semblaient nullement inquiétés de la fumée qui dépassait des toits des maisons, trop occupés à festoyer dans les rues. Derrière, Selarin n'eut pas de difficultés à la suivre, mais dut ralentir l'allure pour attendre Kelrus qui était plus lent et moins agile qu'un elfe. Il appela la jeune fille qui ne l'entendait pas. Puis Shiraz bifurqua dans une ruelle, une sorte de raccourci qui menait directement vers les collines. L'elfe la perdit de vue.

Shiraz arriva enfin chez elle. Son visage se décomposa. Devant elle se trouvait sa ferme en ruines, entièrement calcinée, tandis que de la chaumière s'élevait encore d'énormes flammes. Les poules gisaient à terre, décapitées, et une grande partie de la forêt alentour brûlait. « Non, non, non, non !!! » Sous l'effet de la panique, elle se précipita dans la maison en flammes en appelant son père. A l'intérieur, une pile de livres finissait de brûler tandis que le feu s'attaquait à l'étage. Elle voulut monter mais c'était impossible. L'escalier avait été réduit en cendres. Dépitée et folle de rage, elle ressortit. Elle cria de toutes ses forces le nom de son père en courant dans tous les sens. Elle appela aussi la jument. « Ils se sont peut-être enfuis ensemble ». Non. Alma Jainrose l'aurait remarqué. Shiraz cria à nouveau, au point de manquer de s'étouffer à cause de la fumée.

Le désespoir fit place à la rage lorsqu'elle s'effondra dans la cendre. Elle ne comprenait plus rien, tout se troublait dans sa tête. Les larmes commencèrent à tomber de son visage rouge de colère, et elle resta ainsi, épuisée et brisée de l'intérieur. Devant elle, ce qu'il restait de son foyer s'achevait de se consumer...

*


Les jours passaient mélancoliquement dans la belle demeure de Selarin. Ce dernier avait logé la jeune fille, complètement détruite, le temps de mettre au clair cette sombre affaire. Shiraz avait passée les premiers jours dans une dépression terrible et ne cessait de se culpabiliser. Au bout d'une semaine, quelqu'un retrouva Misaï et Selarin installa la jument dans ses écuries. Revoir ce visage familier redonna de l'assurance à la jeune fille et son esprit redevint clair. Alors, elle ne cessa d'émettre des hypothèses hallucinantes tandis que l'elfe tentait de la raisonner. Il lui proposa de s'entraîner avec lui pour se changer les idées mais au bout de cinq minutes, la guerrière abandonnait et rentrait dans sa chambre, la gorge nouée. Un jour, elle était même partie en reconnaissance sur le dos de sa jument et avait ratissée toute la forêt, mais ses recherches n'avaient rien donné.
Shiraz se doutait bien que le Marteau du Crépuscule était encore derrière cette histoire, mais la sauvagerie avec laquelle avait brûlé sa maison laissait planer des doutes. Ils ne se seraient pas contentés de tout ravager, sauf pour faire disparaitre quelque chose. Le maitre d'armes, lui, avait plutôt opté pour les orcs Rochenoire, de plus en plus nombreux dans les Carmines.

- Je suis d'accord avec toi, acquiesça la jeune fille, mais quel est le rapport entre les orcs et la secte ? ils ne travaillent pas pour eux, à ce que je sache !
- Oui, oui, j'y ai pensé aussi, répondit le haut-elfe, pourtant, si l'on maintient tes soupçons sur la secte, il doit forcément avoir un lien avec elle, de près ou de loin.

La supposition était épineuse. Ils l'avaient beau remuer sous tous ses angles, un élément revenait sans cesse et ne collait pas. Ils finirent par être à court d'idées.

- Tu m'avais raconté un jour que le Marteau du Crépuscule recrutait souvent des mercenaires pour des missions de ce genre. C'est peut-être le cas avec les orcs. Ils pourraient très bien les avoir payés pour exécuter cette besogne pour leur compte.

La théorie de Selarin n'était pas mauvaise. Shiraz garda cette idée en tête. Mais une raison plus importante la hantait, et la même question persistait : où avaient-ils emmenés son père ? Et surtout : pourquoi?

Ce soir-là, pendant le repas, Shiraz se leva et fit face à Selarin et son épouse. Elle hésita longtemps pour annoncer sa nouvelle, se remettant à nouveau en question. Etais-ce une bonne idée qu'elle avait eue ? Mais elle n'avait pas d'autres choix, et finit par se lancer :

- Voilà ! J'ai réfléchi toute la journée à la suite des événements et j'ai enfin décidée de ce que j'allais faire.
Les deux Quel'dorei l'écoutaient attentivement :
- Je vais partir à sa recherche, déclara la jeune humaine. Je pars pour Hurlevent demain matin.

Un long silence se fit dans le pavillon. On n'entendait que l'eau de la rivière qui coulait doucement en contrebas. Le maitre d'armes ne détacha pas son élève des yeux. « Il ne va pas aimer » songea-t-elle. Mais elle resta patiente jusqu'à que l'elfe brise le silence :

- Et après ? Que comptes-tu faire ? Tu as un plan au moins ?

Shiraz avait programmée des choses à faire une fois à la capitale, mais l'essentiel restait de l'improvisation, ce qu'elle avait l'habitude de faire.

- La présence du Marteau du Crépuscule est de plus en plus importante à Hurlevent. Je compte mener mon enquête là-bas.

Selarin grimaça :

- Hummm.... C'est un peu maigre ce que tu me dis là. Ensuite, ça va se passer comment ? Tu vas interroger chaque personne qui prétend faire partie de la secte, hein ? insista l'elfe.

La jeune fille détestait lorsqu'on lui demandait des précisions sur ses projets. Elle n'avait jamais su les expliquer concrètement, car personne ne comprenait sa vision des choses. Néanmoins, elle lui donna le plus d'arguments possibles pour réussir à le convaincre, même si c'était plutôt sa détermination qui le mit en confiance.

- Très bien, conclut le haut-elfe. Fais comme tu le sens. Mais sache que je ne pourrais pas t'aider, ni tes coéquipiers de la Caserne. Tu seras toute seule, et tu es responsable de tes actes.
- Oui, oui. Bien entendu, rassura Shiraz. Je compte agir en solitaire de toute façon. Et puis je suis grande, je sais me débrouiller !

Selarin soupira. Son frère lui avait raconté les problèmes sociaux que rencontrait la capitale à cause de la secte. Il craignait qu'il lui arrive le moindre problème. Mais il connaissait son élève. Elle était débrouillarde et savait suffisamment bien se battre pour pouvoir se défendre toute seule.

- Parfait, acquiesça l'elfe. A quelle heure comptes-tu partir, exactement ?
- Demain, à l'aube, dit la jeune fille d'une voix assurée. Je n'ai pas de temps à perdre. Et Misaï m'accompagnera...
L'oiseau majestueux déployait ses immenses ailes de pierre tandis que sa maîtresse contemplait le ciel avec fierté. Telle était la façon enchanteresse avec laquelle Shiraz contemplait l'imposante statue d'Alleria Coursevent. Elle venait d'arriver de bonne heure à Hurlevent et s'accorda un moment de rêverie dans la Vallée des Héros avant de retrouver l'éternel capharnaüm du centre-ville. Son voyage, quant à lui, avait été plutôt rapide. La jeune fille avait galopé en continu, ne s'arrêtant que lorsque Misaï rechignait à continuer, ou lorsqu'elle manqua de tomber de cheval, à moitié endormie. Arriver enfin à destination lui avait fait le plus grand bonheur, et tout ce qui comptait pour elle désormais était de descendre de cheval et de se poser.

Passé les portes principales de la cité, Shiraz se fraya un chemin dans la foule. Ce matin, le quartier commerçant bouillonnait d'activité. Des centaines d'étalages de fruits de Strangleronce, de poissons du Norfendre, des grands sacs d'épices de Kalimdor et tant d'autres produits alimentaires venus des quatre coins d'Azeroth, formaient des kyrielles de couleurs dans les rues grisâtres du centre-ville. Shiraz lorgna les étals du haut de sa monture et s'acheta une belle banane de Tel'abim encore verte en guise de déjeuner. Puis elle bifurqua directement jusqu'au quartier de la Cathédrale, à la recherche de son amie prêtresse. La jeune fille avait un lien tellement fort avec sa jument qu'elle la laissa aller librement sur la place tandis qu'elle grimpa les grandes marches de marbre de l'édifice religieux.

A l'intérieur, l'odeur de l'encens faillit lui donner le tournis tant elle était lourde. Ses volutes pourprées voletaient encore dans l'air, passant entre les centaines de milliers de cierges allumés, ce qui donnait une lumière enchantée. Quelques prêtres finissaient de ranger l'autel, nullement troublés par l'avancée silencieuse de la guerrière. Elle interrogea l'un d'eux au sujet de Livia. L'apprenti lui indiqua le presbytère, en ajoutant qu'elle était certainement en train de se changer, car l'office matinal s'était terminé il n'y a pas très longtemps. Shiraz mit un moment à la trouver, perdue dans les immenses couloirs de l'église. Elle l'aperçut enfin, en pleine lecture dans la bibliothèque de la cathédrale. Cette dernière leva la tête de son ouvrage et, à la vue de son amie, un immense sourire surgit et elle se jeta sur elle.

- Shiraz ! Que je suis contente de te voir.
- Coucou Livia, répondit son amie, soulagée de revoir enfin un visage familier.
- Mais qu'est-ce que tu fais à Hurlevent ? l'interrogea la jeune prêtresse. Je ne savais pas que tu viendrais.
- Oui, c'est normal. En fait, je suis venue dans la précipitation... et... je ...

Shiraz n'arrivait pas à finir sa phrase. Sa maison en flammes refit brusquement surface dans son esprit. Un élan de désespoir la submergea, et son amie comprit instantanément que quelque chose clochait.

- Shiraz, qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Livia sentait qu'elle tremblait, ce qui l'inquiéta. Elle n'avait jamais vue son amie ainsi. Shiraz, la garçonne qui se battait comme un lion ; la fille qui voulait devenir soldat et faire la guerre comme les hommes ! Et la voilà toute démunie devant elle, comme une enfant perdue... Non ! Ce n'était pas seulement inhabituel, songea Livia. C'était grave.

- Ecoute, lui dit-elle doucement, on va aller chez ma tante. C'est chez elle que je loge. Tu pourras m'expliquer tranquillement ce qui s'est passé.
Shiraz acquiesça puis serra Livia contre elle. Son soutien était un tel soulagement qu'elle laissa ses larmes couler.
Ce fut la première fois que Livia entendit son amie pleurer...

***


Le lendemain, Shiraz décida de mener son enquête. La veille, la jeune femme avait racontée tout ce qui lui était arrivé à son amie, sans omettre de cribler les sectaires de jurons divers. Puis elle s'était effondrée de fatigue et Livia l'avait laissée se reposer. Et ce matin, lorsqu'elle se fut remise de ses émotions, Livia lui parla des manifestations de la secte qui pullulaient dans toute la ville. La milice de Hurlevent avait tentée à plusieurs reprises de se débarrasser des gêneurs, mais de plus en plus de petites gens s'étaient converties à la nouvelle religion qui leur promettait moult merveilles. Beaucoup se sentaient abandonnés par la Sainte Lumière, et certaines personnes se revendiquaient ouvertement comme membres du Marteau du Crépuscule.

En débarquant dans le centre-ville, Shiraz remarqua combien la populace paraissait changée de ce qu'elle avait vu hier. Il y avait des citadins qui portaient des vêtements violets, couleur de la secte. Parfois, elle aperçut l'emblème du culte gravé sur les murs ou dans le coin d'une fenêtre. Une patrouille était affairée sur l'une des marque et tentait de l'effacer, mais Shiraz savait que c'était inutile. Le marteau orné réapparaitra le lendemain, tel un message de propagande. La guerrière tomba à un moment sur un prêtre qui avait troqué sa soutane blanche pour des vêtements sombres. A sa main, il faisait rouler un chapelet en perles d'élémentium tout en marmonnant une sorte de prière qu'on ne pouvait entendre. « Ils sont tous devenus fous ! » s'étonna la jeune femme, scandalisée. Elle se rendit compte peu à peu que Livia avait raison : la secte était véritablement en train de "convertir Hurlevent".

Elle arriva sur une place où se trouvait un groupe de prosélytes. Shiraz eut alors une idée. Elle cacha ses armes sous sa cape et se mêla au petit peuple agglutiné devant une estrade improvisée. Un sectaire était en pleine oraison. Il déclamait avec force la fin du monde qui, selon lui, s'approchait et appela les citoyens à s'en remettre aux Dieux Très Anciens pour leur salut. « Les idiots, songea Shiraz avec mépris. Ils ne savent même pas ce qui les attend en entrant dans cette secte affreuse ! ». Elle s'approcha des hommes en violet le plus près possible et profita de la foule pour se cacher derrière un étalage. Elle comptait bien les espionner tranquillement jusqu'à qu'ils partent. Elle pourrait alors les suivre vers une sorte de planque du Marteau du Crépuscule où elle pourrait en apprendre plus. Et elle attendit.

La journée passait avec une lenteur effroyable. Shiraz fit le tour de la ville pour faire passer le temps avant de revenir à son poste d'observation. Lorsque le soleil se coucha, les dernières personnes qui trainaient sur la place s'en allèrent, la laissant seule, mais cachée, en compagnie des trois hommes. Ces derniers ne cessèrent de discuter sur des choses diverses et plaisantèrent sur tout et n'importe quoi. Shiraz, qui pensait qu'elle entendrait des choses intéressantes, n'apprit strictement rien. « De simples initiés ! Ce n'est pas avec eux que je vais avancer ». Elle songea alors à s'en aller. Attendre l'agaçait. Shiraz constata à nouveau que la patience était une chose qu'elle n'avait pas encore acquise.

C'est alors qu'elle entendit des pas. Elle se retourna : des individus vêtus de cuir noir, encapuchonnés et armés, s'avancèrent vers les prosélytes qui s'étaient tus brutalement. « Les Chasseurs ! » Shiraz faillit crier en disant ces mots. Elle les reconnut : c'était les agresseurs qui les avaient attaqués la première fois. Elle serra les poings. L'envie de les massacrer bouillonna dans sa tête. Mais une petite voix lui dit qu'il serait plus sage de rester caché et de les espionner. Avec un peu de chance, ces assassins auraient peut-être des choses importantes à dire.
L'un d'eux s'avança vers les néophytes qui s'inclinèrent, et leur dit doucement, mais d'une voix autoritaire :

- Que faites-vous encore en ville ? Vous devriez être rentrés.
Les trois sectaires balbutièrent, ne sachant quelle excuse sortir pour justifier leur retard. Le Chasseur leur intima de se taire et leur annonça qu'il en parlerait à leur supérieur. Ils pâlirent à ces mots et se hâtèrent de ranger leurs affaires. Shiraz sourit devant ce spectacle ridicule. « Ca leur apprendra à me faire poireauter toute la journée pour entendre déblatérer des idioties ! » L'homme encapuchonné haussa le ton :
- Ecoutez-moi !!
Les hommes stoppèrent toute activité et se rangèrent devant le Chasseur, tel des soldats au garde-à-vous.
- Je vais profiter que vous soyez là pour vous dire ce que j'ai communiqué tout à l'heure à votre supérieur. Nous avons un message important à vous transmettre de la part du haut Conseil Ascendant...
« Le Conseil Ascendant ? » Shiraz n'en revenait pas ! Le Conseil Ascendant était à la tête du Marteau du Crépuscule, juste après l'ogre Cho'gall, le chef suprême de l'ordre. La nouvelle ne risquait pas seulement d'être intéressante, elle devait aussi être d'une importance capitale ! La jeune fille se remercia intérieurement de n'être pas partie plus tôt pour louper cette information. Elle se cala bien contre le mur et tendit l'oreille :
- Le Conseil a lancé un avis de recherche, continua le chef des Chasseurs. Tous les membres de l'ordre, que ce soit à Hurlevent où ailleurs, sont mobilisés pour participer à la traque de cette personne.

En disant ces mots, il sortit un parchemin et le déroula. Il comportait le croquis d'une personne : il s'agissait d'une femme, aux longs cheveux ébène et à la peau très mate. Shiraz faillit défaillir. Seul son corps tremblait, et de la sueur perla son front. Elle ne reconnaissait que trop bien cette personne. Sur le parchemin, c'était elle ! La jeune femme laissa échapper un gémissement. L'assassin se retourna d'un coup dans sa direction et fit signe aux autres de se taire. Shiraz se maudit. « Mais quelle idiote ! Je vais me trahir ! » Le silence dura un long moment avant que l'homme ne reprenne :

- Bref, je vous remets ce croquis. Si vous la voyez ou que vous avez la moindre information sur elle, prévenez immédiatement vos supérieurs !
Les acolytes acquiescèrent, puis l'un demanda :
- Mais quelles sont les causes de cette recherche ? Est-elle dangereuse ?

Shiraz crut voir un sourire sur les lèvres du Chasseur. Il répondit tout bas, de sorte que la jeune fille ne puisse entendre un seul mot. « Le crétin, il sait que je suis là ! » Elle rageait. Elle venait tout juste de louper le plus important. Enfin, les assassins firent demi-tour. Leur chef lança en s'en allant :

- N'hésitez pas à utiliser la violence, si besoin est.
Sur ces mots, il disparut, laissant la place dans un silence tendu.

Shiraz était complètement déboussolée. Elle ne comprenait plus rien. D'abord, on s'en prenait à son père pour une raison obscure. Et maintenant, c'était elle que l'on recherchait. Mais pourquoi ? Cela n'avait pas de sens !

Elle finit par sortir de sa cachette sans se faire repérer, puis se dirigea vers le quartier de la Cathédrale. Elle s'engouffra dans des ruelles noires comme s'il était minuit. La jeune fille n'arrivait pas à s'ôter les paroles de l'assassin de la tête. Cela la hantait au point de lui donner des frissons.
Soudain, elle entendit un bruit métallique. Shiraz eut à peine le temps de dégainer ses armes qu'on la plaqua au sol. Le choc lui coupa la respiration et elle perdit ses repères. Elle sentit néanmoins qu'on lui saisissait les poignets. Sans réfléchir, elle planta ses ongles avec force dans le bras de son agresseur, qui la lâcha en sifflant. Shiraz en profita pour se relever. Elle saisit ses épées et para de justesse le coup de son adversaire. « Encore lui ! » s'exclama-t-elle en voyant le chef des Chasseurs se jeter sur elle. Shiraz l'esquiva en reculant, mais se retrouva coincée contre le mur. Elle jura. Elle était cernée.

- Alors, on écoute aux portes ? lança le sectaire en riant. Tu sais que ce n'est pas très poli, Shiraz !
« Quoi, il connait mon nom, en plus ? » La guerrière sentait que sa journée allait mal se terminer. Elle chercha une issue, mais seule contre trois hommes, ça commençait à être légèrement inégal pour la jeune femme. Leur chef lui dit :
- Si j'étais à ta place, jeune fille, je déposerai gentiment mes armes et...
Au lieu de finir sa phrase, il se retourna furtivement : ses hommes s'effondraient bizarrement, comme s'ils avaient eu un malaise. Profitant de sa stupéfaction, Shiraz se mit à courir. L'assassin vociféra et se lança à sa poursuite. Mais à peine eut-il fait trois mètres qu'il se mit à tousser. La jeune fille se retourna : son poursuivant était en train de s'étouffer. « Qu'est-ce qui lui arrive ? » s'interrogea-t-elle au lieu de s'enfuir. Mais l'homme ne mit pas longtemps à reprendre ses esprits. Il se redressa et s'approcha d'elle en dégainant son poignard. La jeune fille s'arma et se tint prête à recevoir l'attaque, bien décidée d'en finir avec lui...

C'est alors qu'une silhouette entraîna Shiraz vers le bout de la ruelle.

- Viens avec moi, lui dit l'inconnu tout bas.
Sans se poser de questions, elle obtempéra et suivit la personne en courant. Tout en lui emboitant le pas, elle essaya de voir de qui il s'agissait. Il était camouflé par sa longue cape, mais Shiraz distingua une longue barbe noire et l'homme était plus petit et plus trapu qu'elle. « Un nain ? se dit-elle. Mais pourquoi m'a-t-il sauvé ? » Encore un mystère qui s'ajoutait à sa journée de folie.
Ils finirent par semer le sectaire, mais l'homme ne s'arrêta pas. Il l'entraîna vers le quartier des Nains, à l'autre bout de la ville.
- Où m'emmenez-vous ? lui demanda-t-elle en haletant.
- En sûreté, lui répondit simplement le nain avec un fort accent des montagnes.
Ils pivotèrent dans une rue enfumée puis finirent par s'arrêter devant une maison toute noire de suie. Il déverrouilla la porte et intima à la jeune femme d'entrer. Mais elle resta sur le perron.
- Eh bien, qu'est-ce que vous faites ? lança l'inconnu. Vous voulez vous faire égorger en restant dehors ?
- Parce que je devrais peut-être vous faire confiance ? dit Shiraz avec soupçon.
- Ecoutez, expliqua le nain, si je voulais me débarrasser de vous, je vous aurais tué depuis longtemps. Et je n'aurais surtout pas pris la peine de vous sauver de ces fous.
Il n'avait pas tort en effet. Mais Shiraz ne comprenait pas ce retournement de situation :
- Alors pourquoi êtes-vous venu m'aider ?
Le nain la toisa longuement. Il dit enfin :
- Parce que je veux savoir pourquoi le Marteau du Crépuscule vous recherche...
Un seul coup de cloche sonnait des églises de la capitale. Aucune des deux lunes ne se montraient dans la nuit noire, constellée d'à peine quelques étoiles. Shiraz les regardaient par la fenêtre aux vitres noires, dû aux incessantes activités des forges du quartier. Elle se demandait si Livia ne s'inquiétait pas trop de son absence. « J'espère qu'elle ne court pas les rues à ma recherche » songea-t-elle anxieuse. Elle avait plus peur que ces damnés assassins ne l'embrochent plutôt qu'elle. « Tant qu'ils n'en ont pas l'intention, c'est le principal, se rassura-t-elle. Je n'ai pas envie de lui attirer des ennuis à cause de ces conneries ! »

Des pas lourds résonnèrent sur le sol en bois. C'était le nain qui revenait avec des victuailles pour la jeune femme qui n'avait rien avalée de la journée. Bien entendu, de grosses chopes de bière étaient au rendez-vous. En les voyant trôner sur le plateau, la guerrière frémit d'enthousiasme. Son père et elle étaient de grands amateurs d'alcool, et c'était moins pour noyer son chagrin que pour ressentir la chaleur d'Altaïr à travers le breuvage réconfortant qu'elle saisit la chope des mains de son hôte.

- Oh doucement sur l'alcool ! J'en ai plus des masses en réserve ! lança le nain en grimaçant.
- Désolée..., répondit Shiraz en souriant

C'est tout en buvant qu'elle prit le temps d'observer l'inconnu : il était noir ! De la tête aux pieds, barbe y compris ! Ses yeux brillaient d'un rouge rubis qui ne lui paraissait pas naturel. Elle n'avait jamais vue des nains pareils. Ils avaient une couleur de peau similaire à la plupart des humains, en temps normal. Mais lui, il n'était pas plus foncé qu'elle, il avait vraiment la peau couleur charbon ! « C'est un demi-nain ? » songea-t-elle. Elle n'osa pas lui poser la question. Ce dernier le remarqua bien vite :

- Tu n'a jamais vu de Sombrefers, jeune fille !

Il s'esclaffa de rire. Shiraz fronça les sourcils. « Ca le fait rire que je n'ai jamais vu un Sombrefer de ma vie ! » Au moins, elle avait eue la réponse sans qu'elle ne lui demande.

Il finit par retrouver son sang-froid :

- Désolé. Je pensais que tu étais d'ici.
- Non... J'habite à Comté du Lac. Et il n'y a pas de Sombrefers là-bas !
- Hummm... C'est pas faux, acquiesça le nain.

Il l'invita à s'asseoir et garnit la table de différents plats qu'il avait apportés. En voyant toute cette nourriture, on aurait pu croire qu'il avait invité tout le quartier à festoyer dans sa maison, un peu basse pour un humain. Mais telle était la table des nains : toujours pleine, et ce même pour un seul homme. Le Sombrefer se fit un plaisir de présenter sa table à sa nouvelle invitée :

- Côte de mouton braisé, fricassée de dinde aux champignons ou cuisse de poulet de Dun Morogh, euuuh.... Tu...
- Ah ! comprit la jeune fille. Shiraz. Je m'appelle Shiraz.
- Shiraz ? Enchanté, s'exclama le nain en brandissant un couteau à viande plein de graisse. Moi c'est Rutgar, fils de Dorarn Corne-de-Fer.

Il se présenta en réalisant une fausse courbette devant l'humaine hilare. Ce nain la faisait bien rire. On disait des Sombrefers qu'ils étaient sournois et peu sympathiques envers les étrangers. Mais, chose étrange, ce n'était pas son cas. Le nain rit de bon coeur à sa plaisanterie avant de changer de sujet en lui rappelant pourquoi elle était là. Shiraz soupira :

- Rhaaa ! Je suis vraiment obligée de vous raconter ma vie ?

Le Sombrefer acquiesça. Il la scruta de ses petits yeux rouges, spécifiques de son peuple. Il semblait assez intrigué par la jeune femme, comme s'il l'avait déjà croisée quelque part. Elle lui paraissait bien jeune pour s'être battu contre des Chasseurs, combattants d'élite du Marteau du Crépuscule. Comment avait-elle appris à se battre ? « Chez elle ? » songea le nain. Il finit par lui demander :

- Est-ce que tu connais le Marteau du Crépuscule ?
- Oui, confirma Shiraz en hochant la tête. Je fais des recherches dessus d'ailleurs, si vous voulez...
-nDonc tu dois savoir ce que signifie cet avis de recherche, n'est-ce pas ! continua le nain en la coupant.

Elle ne répondit pas. Shiraz fut prise d'un doute, car là était le problème : pourquoi elle faisait l'objet d'un avis de recherche, et qui plus est de la part du Conseil Ascendant ? Elle expliqua à Rutgar ses craintes et sa stupéfaction sur cette affaire :

- D'après ce que je sais, le culte envoie des Chasseurs pour pourchasser les traîtres ou ceux qui se sont enfuis de la secte. Or je n'ai absolument aucun rapport avec elle...
- Pourtant, tu es sur leur liste noire, abrégea le nain d'une voix sombre.

Elle pâlit :

- Leur "liste noire" ?
- Tu es recherchée par le Conseil Ascendant en personne. Tu ne trouve pas cela étrange ? Cela signifie que... hem... Que tu es une cible de première importance, acheva-t-il.

Un silence de plomb s'abattit dans la maison. Shiraz commençait à en avoir marre de toutes ces révélations qui devenaient de plus en plus inquiétantes. Elle ne savait pas s'il fallait vraiment croire à toutes ces histoires. Elle avait l'impression que le Marteau du Crépuscule cherchait juste à lui faire peur pour la dissuader de retrouver son père. « Qu'est-ce qu'ils veulent à Altaïr ? Pourquoi ont-ils autant d'intérêt pour lui ? ». Mais une autre question lui taraudait l'esprit :

- Comment savez-vous tout cela ?

Le nain lui expliqua alors qu'il était un ancien membre de la secte. En tant que Sombrefer, il avait grandi à Ombreforge, leur cité creusée dans les profondeurs du Mont Rochenoire. Puis le Marteau du Crépuscule fit son apparition dans la montagne.

- Je viens d'une famille noble, proche de notre empereur Thaurissan. Je suis devenu ambassadeur auprès du culte qui avait noué une alliance avec l'empereur. Ce dernier m'envoyait fréquemment travailler en collaboration avec le Marteau du Crépuscule.

Shiraz l'écouta attentivement. Elle ne connaissait pas bien l'histoire des nains, et encore moins celle du clan Sombrefer.

- Mais à force de côtoyer la secte, je commençais à prendre conscience de ses véritables desseins. En tant qu'ambassadeur, j'étais suffisamment haut-placé pour avoir l'occasion d'accéder à quelques « secrets » du Marteau du Crépuscule. Lorsque je découvris les horreurs qu'ils proféraient en cachette, cela me stupéfia !

Le nain se lança alors dans plusieurs explications que Shiraz n'ignorait pas. Son père lui avait mise en garde contre tous ces secrets que la secte cachait au monde et même à une partie de ses fidèles. Le Sombrefer avait alors décidé de transmettre secrètement la vérité à quiconque voulait l'entendre et se mit parfois à les aider à s'échapper de la secte. Lui-même avait fini par fuir jusqu'à Hurlevent. Il se cachait désormais aussi bien du Marteau du Crépuscule que de son peuple qui l'avait banni à cause de sa trahison.

Shiraz se détendit. Sa méfiance envers ce Rutgar se dissipait peu à peu. Il lui rappelait son père : un homme qui haïssait la secte et qui cherchait à protéger le monde en propageant les terribles vérités que bien peu connaissait.

- Et toi. Explique-moi ce qui t'arrive avec cette organisation.

Elle lui raconta alors les récurrentes attaques du culte sur leur foyer, puis le rapt de son père, la destruction de leur ferme, et ajouta ce qu'elle avait appris à Hurlevent durant la journée. Rutgar Corne-de-Fer lui posa pleins de questions à propos d'Altaïr, jusqu'à lui demander s'il avait été un ancien membre de la secte. La jeune femme lui assura que non. Il connaissait le culte que de façon externe, lorsqu'il avait secouru les elfes de Kalimdor par le passé. Mais Shiraz sentait parfois que son père lui cachait des choses sur ces événements. A chaque fois qu'elle lui posait une question, son père ne répondait jamais exactement pareil, de sorte que cela formait un doute de plus en plus évident chez la jeune fille.
Rutgar la ramena à la réalité :

- Moi non plus j'ignore les rapports que ta famille pourrait avoir avec la secte, mais sache que tu ne peux plus prendre cette affaire à la légère.

Shiraz paniqua :

- Co... Comment ça ?
- Tu es en danger, jeune fille. Tu as désormais le culte tout entier à tes trousses. Et si tu te lance à la recherche de ton père, tu te conduis droit à la mort.

Encore une fois le nain visait juste. Shiraz ne pouvait se lancer seule en plein territoire du Marteau du Crépuscule. C'était pure folie ! Il lui fallait quelqu'un pour l'accompagner. Livia ? Elle ne connaissait qu'elle, mais ne voulait pas qu'elle se retrouve dans cette affaire et qui lui arrive quelque chose. Ses collègues de la Caserne ? Selarin lui avait prévenu qu'elle ne pouvait compter sur leur aide. Le haut-elfe ne voulait pas voir ses élèves se retrouver face à un ennemi bien plus dangereux que les orcs des Carmines. Et personne n'accepterait de combattre le Marteau du Crépuscule et ses abominations. Alors qui ? Elle n'allait quand même pas demander à des inconnus, à des mercenaires ! A moins que...

- Vous ! Il faut que vous m'aidiez à retrouver mon père !

Rutgar sursauta :

- Pardon ?
- Vous avez fréquenté la secte. Vous saurez me guider jusqu'à mon père...
- N'y pense même pas, la coupa le nain. Ne t'ais-je pas dis que j'étais moi aussi recherché par le culte ?
- Mais c'était il y a des années, contredit Shiraz. Ils sont probablement passés à autre chose. Ils vous ont certainement oubliés...
- Hélas, tu te trompes, lui répondit Rutgar en soupirant. Jamais le Marteau du Crépuscule n'abandonne ses traîtres, même morts et enterrés depuis longtemps. Crois-moi, Shiraz, même après trente ans, je ne suis toujours pas en sécurité ! Et avec ce maudit Cataclysme qui a fait émerger la secte partout en Azeroth, ce n'est vraiment pas le bon moment pour sortir de chez soi !

« Non ! » Shiraz s'effondra sur une chaise. Son seul espoir venait de s'envoler. Comment allait-elle faire désormais ? La jeune fille n'avait pas d'autre solution :

- J'irai toute seule, dit-elle en se levant. Peu importe les dangers !

Sur ces mots, elle mit sa cape et se dirigea vers la sortie. Le Sombrefer se précipita sur elle :

- Tu es complètement folle, s'écria-t-il. Mais regarde l'âge que tu as ! Seize, dix-sept ans...
- Vingt ! corrigea Shiraz avec dédain.
- Peu importe, tu n'es même pas encore une adulte.
- Et alors ! rétorqua la guerrière. Est-ce que cela va m'handicaper ? Je vous l'ai dit ! Altaïr est ma seule famille. Je ferai donc tout pour le retrouver !

Elle franchit le seuil de la maison et claqua la porte sur les protestations de son hôte...
- Mais qu'est-ce qu'elle fait ? Elle devrait être rentrée depuis des heures !

Livia avait passée la soirée anxieuse à attendre le retour de son amie. Si elle avait trouvée une piste, d'accord, elle comprenait que cela pouvait être long. Mais là... Sa tante s'était couchée depuis bien longtemps mais sa nièce refusait de dormir tant que Shiraz ne serait pas rentrée. Elle s'était occupée en se plongeant dans un roman d'aventure, Le Passeur des Mers du Sud, qui, en temps normal la fascinait. Mais là, même la fameuse bataille navale, moment-clé du récit, était troublée par une angoisse toute autre...

On frappa à la porte. « Enfin ! » soupira Livia en se précipitant de son lit. Elle ouvrit la porte, toute frétillante de revoir Shiraz en chair et en os. Mais son sourire disparut aussitôt. Ce n'était pas elle ! Le Père Samuel l'attendait sagement sur le seuil.

- Eh bien, Livia, on est lassé de me revoir, lança-t-il en souriant.

La jeune prêtresse bloqua un instant avant de se reprendre :

- Euh... Désolée, mon Père. J'ai passée la soirée à attendre mon amie. Je pensais que c'était elle...
- Oh ! Je suis désolé. Ne t'en fait pas, elle reviendra.

Il lui prit la main pour la rassurer. Livia le remercia. Elle avait besoin de se changer les idées.

- Je suis venu te chercher, reprit-il. Le grand Archevêque souhaite te parler en privé.

Le grand Archevêque ! En privé ? Alors là, pour lui changer les idées, c'était réussi ! Livia n'avait vue l'Archevêque Benedictus que deux fois dans sa vie, lors d'une fête religieuse et lors de la cérémonie qui avait précédée son ordination. Cette fois, c'était personnellement que Sa Sainteté souhaitait la voir.

- Euh... Oui, oui ! Bien sûr. Je vous suis.

Elle laissa un mot sur la table et sortit, guidée par le prêtre jusqu'à la Cathédrale. Ils entrèrent dans le presbytère jusqu'au bureau de l'Archevêque. Ce dernier les attendait de pied ferme, tel un général attendant un rapport militaire. Les deux invités s'inclinèrent.

- Merci, Père Samuel, dit Benedictus en les saluant à son tour. Je te laisse disposer désormais. Va te reposer.
- Je vous remercie, Très Saint Père. Puisse la Lumière bénir votre Grandeur.

Le Père Samuel s'inclina avec un profond respect puis disparut. Le grand Archevêque invita la jeune femme à s'asseoir.

- J'espère ne vous avoir point réveillée à cette heure aussi tardive.
- Ne vous en faites pas, Très Saint Père, répondit Livia avec respect.

L'homme sourit. Il s'assit en face d'elle et lui expliqua la raison de ce rendez-vous nocturne :

- J'ai suivi votre parcours, et il est plutôt positif. Cela fait maintenant deux mois que vous oeuvrez ici en tant qu'apprentie du père Samuel. Il m'a dit beaucoup de bien de vous, notamment que vous êtes une élève sérieuse et surtout motivée. Cela est réjouissant.

«Désormais, vous allez travailler dans d'autres domaines nécessaires à votre formation de prêtre. Avant de définir votre spécialisation dans la profession, vous devez passer votre stage dans les domaines que vous n'avez pas encore explorés. Quels stages avez-vous passés jusqu'à présent ?

- Alors... J'ai passé mon stage de diacre et d'aumônerie à l'Abbaye de Comté du Nord, j'ai remplie mon décret de médecine dans un camp militaire à la Marche de l'Ouest. J'ai suivie un stage d'exorcisme à l'Exodar et j'ai commencée la théologie la dernière semaine.

Ça faisait beaucoup de choses pour devenir prêtre ! C'était une ouverture générale à la profession que tout étudiant qui voulait entrer dans l'Eglise de la Lumière devait réaliser. Certains disaient que l'Eglise rivalisait avec le Kirin Tor sur une sorte de concurrence des meilleurs élèves. Pour Livia, c'était avant tout un bon moyen pour bien préparer son avenir.

- Très bien, approuva le chef spirituel de l'ordre. Il reste deux domaines que vous n'avez pas explorés : la maîtrise des dons de la Lumière en tant que magie et le missionariat.

- En quoi consiste exactement cette voie ? demanda Livia.
- C'est un domaine assez complexe. L'on étudie les autres religions et les sectes du monde, notamment lorsqu'elles ont un rapport avec l'Eglise.

Ce domaine est également celui qui forme les ordres. Il y a des ordres de missionnaires qui répandent la voie de la Lumière auprès des autres peuples, et des ordres militaires composés essentiellement de prêtres et de paladins. Ils forment le bras armé de l'Eglise.

- Comme l'Aube d'Argent ? demanda Livia.
- Exactement, confirma l'Archevêque. Ces ordres combattent les sectes dangereuses et protègent les populations qui ont des problèmes avec les déviances religieuses.

« Tiens donc, les déviances religieuses ! » Livia avait déjà une petite idée de ce à quoi l'Archevêque pensait.

- C'est dans ce domaine que vous commencerez votre prochain stage. Pour ce faire, j'aimerais que vous commenciez par réaliser une étude sur un mouvement religieux qui, en ce moment, fait beaucoup parler de lui : le Marteau du Crépuscule.

Livia émit un petit rire cynique. Elle n'était pas vraiment étonnée que le Marteau du Crépuscule soit la cible de toutes les attentions de l'Eglise. Pourtant, une certaine anxiété se lisait sur son visage.

- Vous semblez inquiète, Livia, remarqua Benedictus.
- C'est que... cette secte me fait un peu peur, avoua la jeune femme.
- Justement. Ce sera le moteur de vos investigations, affirma l'homme. Votre principale mission sera de découvrir les limites de ce culte pour nous permettre de déterminer la dangerosité du Marteau du Crépuscule et les impacts qu'elle peut avoir sur l'Eglise.

« Oh là la ! Mais ça devient suicidaire ! » Livia pensait instinctivement à Shiraz. Lorsqu'elle lui avait racontée ses déboires que la secte lui causait, elle semblait meurtrie de l'intérieur. Livia s'imaginait les pires scénarios et craignait que les Dieux Très Anciens ne la rendent folle et corrompue.

- Mais est-ce que ce sera une sorte d'exercice ou une véritable enquête officielle ? demanda la jeune prêtresse qui craignait la seconde hypothèse.

- C'est là que cela devient intéressant, insista l'Archevêque avec une frénésie naissante. Vous ferez les deux en même temps. Votre stage n'aura pas qu'une simple valeur éducative, car vos actions serviront le bien et la recherche de l'Eglise. De toute façon, cette filière ne se base que sur des faits existant réellement. Mais ne vous étonnez pas de sa complexité : c'est l'une des voies les plus complexes de l'ordination.

L'Archevêque Benedictus paraissait étrangement serein, voire enthousiaste. La jeune femme trouvait son attitude étrange. La secte devrait au contraire l'insupporter, d'autant plus qu'un certain nombre de membres du Clergé quittaient l'ordre pour se soumettre aux Anciens Dieux. Livia avait mainte fois espérée ne pas être mêlée au Marteau du Crépuscule, et voilà qu'on lui demandait d'enquêter sur ce culte dangereux. Même pour devenir prêtre, il fallait approcher la secte !

- J'ai entendu dire, poursuivit Benedictus, que vous aviez une amie ayant des rapports avec ce culte. Shiraz, je crois qu'elle se nomme. C'est bien cela ?

Livia ne réagit pas de suite. Comment Sa Sainteté connaissait son amie ? Elle n'avait jamais mis les pieds à Hurlevent ! Quelque chose clochait avec cette étrange mission.

- N'ayez crainte, s'écria l'homme en la voyant blêmir. Je ne veux pas porter un jugement ni une accusation sur votre amie. Je pense juste qu'elle peut vous être d'un appui pour vos investigations.

- Pardonnez-moi, Très Saint Père, mais mon amie n'a jamais eue aucun rapport avec le Marteau du Crépuscule.

L'Archevêque Benedictus semblait dubitatif.

- Alors comment m'expliquez-vous qu'elle soit recherchée par la secte ?

« Recherchée ? C'est quoi cette histoire ? »Malgré le fait qu'elle soit à Hurlevent depuis un long moment, Livia n'était pas au fait de ce nouveau rebondissement.

- Je... Je suis désolée. Je ne suis pas au courant.
- Ne vous excusez pas. C'est normal. La nouvelle vient de nous être rapportée ce matin.
- Mais alors, pourquoi est-elle recherchée ? Je ne comprends pas.
- C'est justement sur quoi vous allez enquêter. Votre première étape sera de découvrir cette raison, tout en récoltant des informations sur la secte en parallèle.
- Donc, si j'ai bien compris, vous me demandez d'espionner mon amie ?

L'Archevêque acquiesça, tout en précisant que c'était pour la cause de la Sainte Lumière. Livia était gênée de devoir cacher des choses à Shiraz, mais elle n'avait pas le choix. Si elle voulait devenir officiellement prêtresse, elle devait exécuter cette mission. De plus, contredire les paroles du grand Archevêque frôlait l'hérésie. Comme tout servant de la Lumière, Livia avait un respect profond pour le chef spirituel de l'Eglise. Refuser était impensable.

Quelqu'un frappa à la porte du bureau et l'Archevêque l'autorisa à entrer. Un ecclésiastique d'environ une trentaine d'années s'avança vers Benedictus et lui baisa la main. Il portait une longue robe noire et une mitre du même teint couvrait sa tête chauve. A son épaule était suspendue une grande besace de laquelle dépassaient des tonnes de parchemins et de curieuses baguettes en fer ; et sa main gauche tenait un ouvrage d'exorcisme. « Un inquisiteur ! » reconnut Livia.

- Voici le Père Valerius, présenta l'Archevêque. C'est un inquisiteur spécialisé dans le Marteau du Crépuscule. Il sera votre professeur et votre collègue.

Pendant que Benedictus parlait, le prêtre dévisagea la jeune femme avec intensité. Livia remarqua une longue cicatrice qui traversait son oeil gauche à la verticale. « Que lui était-il arrivé ? » songea-t-elle. Mais ce fut son regard qui l'intrigua le plus. Un regard impénétrable, dénué d'expression, mais qui semblait si sinistre... Livia frissonna.

- Je serai honoré de travailler à vos côtés, mademoiselle, dit-il en s'inclinant bien bas, ce qui la mit mal à l'aise.
- Je suis sûr que vous vous entendrez très bien, acquiesça l'Archevêque. Valerius est un homme très patient avec les apprentis. Il n'hésitera pas à vous aider lorsque vous serez en difficulté.

Livia balbutia :

- Je... Euh... Merci. J'apprécie votre soutien.

« Qu'est-ce qui m'arrive, s'inquiéta-t-elle, pourquoi je suis si anxieuse ? » Elle commençait à avoir mal au crâne. Elle étouffait. L'envie de partir d'ici était insoutenable.

Comme s'il avait lu dans ses pensées, Benedictus lui donna le congé. Livia les saluèrent et lorsqu'elle sortit du bureau, elle inspira une grande bouffée d'air, comme si elle venait de se libérer d'une maison en feu. Elle s'en alla précipitamment, priant pour que Shiraz soit rentrée. A la porte, l'inquisiteur n'avait pas détaché son regard de la jeune prêtresse...
Une semaine s'était écoulée depuis que les deux amies s'étaient mises à travailler ensemble. Livia lui avait proposée son aide pour retrouver Altaïr, mais sans lui parler de l'étrange mission que l'Eglise lui avait confiée. La connaissant, Shiraz le prendrait mal, et l'Archevêque avait insisté sur la discrétion de cette enquête. Ainsi, les filles partageaient tout ce qu'elles savaient au sujet de la secte et de tout ce qui se rattachait à elle. Livia rédigea des rapports comportant ce que Shiraz lui avait appris et les transmis au Père Valerius qui, les premiers jours, fut satisfait de leurs contenus. Mais la guerrière commençait à s'ennuyer à Hurlevent. Elle n'avait plus de pistes, et lorsqu'elle voulut rendre visite au Sombrefer pour lui poser des questions, la porte était toujours verrouillée. Sa patience s'effritait...

Ce matin, Shiraz s'accorda un peu de temps avec sa jument. La pauvre, elle avait vécue tellement d'événements. Par deux fois elle avait échappée aux flammes provoquées par la secte. Shiraz pensait presque que c'était un signe d'un quelconque dieu qui avait jeté son dévolu sur elles. « Si seulement ces dieux que tout le monde vénèrent pouvaient épargner mon père » pensa-t-elle avec tristesse.
- Shiraz !
C'était Merrine, la tante de Livia qui l'appelait. La guerrière étreignit Misaï et sortit de l'écurie située dans la cour arrière. La femme, un peu âgée, était sur le seuil, discutant avec des soldats postés à l'entrée. « Qu'est-ce qui se passe encore ? » songea Shiraz. En voyant Merrine la mine angoissée, elle pâlit.
- Vous êtes Shiraz, c'est bien ça ?
L'homme qui avait parlé semblait être le chef des miliciens. Elle hocha la tête. Il sortit une missive et la lut à haute voix :
- Par ordre de Sa Majesté le Roi Varian Wrynn, souverain du Royaume de Hurlevent et dirigeant suprême de l'Alliance, vous êtes en état d'arrestation !
« Pardon !! » Cette nouvelle la sidéra de plein fouet !
- Vous êtes accusée de complicité avec la secte dangereuse nommée le Marteau du Crépuscule. Tout rapprochement avec cette organisation est condamné par la justice royale.
Shiraz n'en revenait pas. Que la secte elle-même la pourchasse, c'était une chose. Mais que la justice de son propre pays l'incrimine d'un fait qui ne la concerne pas, c'était une affaire qui devenait d'un ridicule... Ça n'allait pas du tout ! Elle protesta :
- Messieurs, vous faites erreur. Je n'ai absolument rien à voir avec cette secte...
- Oui, oui ! Tout le monde nous rapporte le même discours, coupa le major. Or le Roi nous a donné l'ordre de vous appréhender, dit-il en lui montrant la missive qui portait les armoiries royales. Vous allez donc gentiment nous accompagner.
Shiraz commençait à avoir des vertiges. Elle avait l'impression d'entendre des milliers de voix dans sa tête. Les miliciens entrèrent et saisirent la jeune femme qui avait encore la force de se débattre :
- Et les preuves. Dites-moi ce qui vous autorise à m'arrêter !
Le major l'ignora. « Ils n'en ont pas ! » réalisa Shiraz. Les soldats l'entraîna dehors et l'enchaîna. Elle se retourna vers la vieille femme qui semblait complètement atterrée. « Elle ne pourra rien pour moi ». Puis on la fit monter dans une diligence dépourvue de fenêtres. Elle essaya à nouveau de se libérer de leur emprise, mais un soldat la poussa avec force et Shiraz se fracassa dans la voiture. Elle grogna de douleur. Le major monta à l'avant et donna l'ordre de partir. Shiraz tenta de se relever malgré la vitesse à laquelle avançait la diligence. Des chuchotements lui torturaient l'esprit. Alors elle se recroquevilla et attendit que ses maux de tête se dissipent. Elle soupira : « Dans quelle merde je me suis encore retrouvée... »

*


Arrivés à la Prison de Hurlevent, les miliciens entraînèrent la jeune fille à travers les nombreux couloirs du bâtiment pénitentiaire. Les cellules étaient bondées, et tous les détenus n'avaient pas des têtes de criminels. Shiraz aperçut même des femmes et quelques enfants plus jeunes qu'elle. « Ils soupçonnent la population d'être des fanatiques qui veulent tuer tout le monde alors qu'ils ont juste été embrigadés aveuglément » C'était pitoyable ! Même la capitale était corrompue. « Bonjour la sécurité ! » maugréa-t-elle.
Ils arrivèrent dans une autre pièce qui ne comportait aucun détenu. Les soldats lui enlevèrent ses chaînes et la poussèrent dans une petite geôle. Puis ils s'en allèrent, sans un mot. Ainsi, Shiraz se retrouvait en prison, une accusation ridicule et sans motif valable sur les épaules. Alors elle se coucha sur le sol humide, croisa ses mains derrière la tête et attendit.
Les heures s'écoulaient. Elle commença à perdre la notion du temps. Il n'y avait même pas de fenêtres pour au moins voir s'il faisait nuit ou non. Puis on lui apporta à manger. Une sorte de soupe, un quignon de pain et de l'eau. Elle mangea tout, sans se soucier de la qualité de la cuisine ! Et la routine reprit. Il régnait un silence terrible. On n'entendait que des gouttes d'eau résonner sur la pierre. Shiraz se demandait pourquoi il n'y avait aucun autre prisonnier dans ces cellules. Il n'y avait même pas de garde. Elle pensa que l'on voulait l'isoler, mais pour quelles raisons ?
Elle finit enfin par entendre d'autres bruits. Des voix. Elle reconnut celle du major. « Ils doivent sans doute venir me chercher » songea-t-elle. Ils étaient à l'autre bout de la salle, mais Shiraz réussit à comprendre quelques phrases :
- ... le bateau est au fond du port, aux derniers embarcadères.
- Bien, major.
- Surtout, gardez-la bien attachée. S'ils apprennent que vous l'avez laissé filer, ... très grave... Je ne prendrais pas en compte...
- A vos ordres.
Shiraz se redressa d'un coup. « Ils vont me transférer ! » Mais où ? Elle paniqua. Qu'est-ce qu'ils allaient lui faire ? Il fallait absolument qu'elle s'enfuit. Les gardes déverrouillèrent la porte de la cellule. Shiraz saisit le plateau sur lequel avait été servi son repas et se planqua derrière la porte qui s'ouvrit. Un premier garde pénétra dans la geôle, la cherchant du regard. Il appela l'un de ses collègues. La jeune fille sortit de sa cachette et fracassa la tête du troisième homme posté à l'ouverture qui s'effondra. Ses collègues eurent à peine le temps de réagir qu'elle ferma la porte d'un coup sec. Puis elle sortit de la salle et se mit à courir dans les couloirs.
Elle ne savait pas du tout ou elle allait, mais ses jambes ne ralentissaient jamais l'allure. Shiraz entendit les gardes donner l'alerte et elle redoubla d'effort. Elle passa sous le nez des geôliers, tel un voleur. Ces derniers avaient à peine le temps de la rattraper qu'elle avait déjà franchi la porte du couloir. Elle déboucha dans une salle commune remplie de miliciens. Elle jura et chercha une issue. Les hommes saisirent leurs armes et se précipitèrent sur elle. Mais la jeune fille trouva un escalier et dut jouer du coude pour s'y faufiler. Passé la marée humaine, elle le monta quatre à quatre et se retrouva dans un autre couloir. Elle sprinta jusqu'à une porte et la franchit.
La guerrière surgit dans une salle pleine de cellules. Il y avait une issue à l'autre bout. Et un garde posté devant. Elle entendit les miliciens dans l'autre couloir. Alors elle inspira un bon coup et courut. Le garde pointa sa lance mais Shiraz lui saisit l'arme et l'enfonça dans le ventre de l'homme stupéfait. Il s'affala en poussant un gémissement rauque. Elle entendit des exclamations émaner des cellules. « Eh bien, j'épate la galerie aujourd'hui ! » se dit-elle en riant. Elle envoya le trousseau de clés aux détenus enchantés de la tournure que prenaient les événements, puis elle escalada le corps du soldat et franchit la porte pour se retrouver dans un autre couloir. « Encore ! » Shiraz avait l'impression de tourner en rond. C'est alors qu'elle frémit. Ses mains avaient la chair de poule. « Il doit y avoir une ouverture sur l'extérieur ici ». Ses pensées finirent par se confirmer.
Il faisait nuit noire lorsqu'elle se retrouva sur les remparts. Le vent soufflait avec force, faisant tambouriner les oriflammes contre les murs de la Prison. Elle eut à peine le temps de rêvasser que les miliciens déboulèrent. Shiraz s'élança sur les remparts, mais à l'autre bout, un autre régiment de gardes s'approcha en courant. Le major était avec eux. « Oh non, pas lui ! » Ce dernier lui intima de se rendre, mais Shiraz savait très bien comment cela finirait.
Soudain, de nouvelles migraines la saisirent. Elle gémit et se prit la tête dans les mains. « Non ! Pas maintenant ! » Elle entendit des chuchotements qui s'amplifièrent à mesure que les miliciens se rapprochaient, leurs lances brandies comme pour chasser un démon. Shiraz ne comprenait pas pourquoi ces malaises étaient de plus en plus fréquents. Depuis l'enlèvement de son père, les sombres paroles dans sa tête se succédèrent par vagues irrégulières. Elle n'en comprenait pas l'origine, ni la raison. Alors elle fit un effort surhumain pour se redresser, malgré la douleur, et fit face aux gardes.
« Il faut que je trouve un moyen de m'enfuir ! » Elle regarda autour d'elle : les remparts étaient terriblement hauts. On ne pouvait pas les escalader pour descendre. Mais ils se jetaient dans les canaux... Shiraz n'avait plus le choix. Si elle voulait leur échapper, c'était là l'unique moyen. Alors elle grimpa au mur du rempart. Le major se rendit compte de son intention et se précipita sur elle. Shiraz respira un bon coup, tenta d'ignorer les chuchotements qui la tiraillaient et s'élança dans le vide. Elle eut tout juste le temps d'entendre le major proférer un chapelet d'ignominies avant de plonger dans l'eau glacée.

Shiraz était une bonne nageuse. Le fait d'avoir grandi au bord du Lac Placide faisait qu'elle était aussi à l'aise dans l'eau que sur terre. Ainsi, elle nageait rapidement dans les eaux noires, le plus au fond des canaux pour éviter de se faire repérer. Elle remonta à la surface pour reprendre de l'air et voir où elle en était : par chance, elle avait sauté du bon côté de la rive, au niveau de la Cathédrale. La milice s'affairait du côté de la Prison et troublait le silence de la nuit. Quelques citoyens, à moitiés endormis, regardaient par la fenêtre pour voir quel était l'origine de ce tapage. La guerrière nagea jusqu'à la rive et sortit de l'eau. Elle était trempée jusqu'aux os et commençait à avoir froid. Malgré tout, elle courut jusque chez la maison de Merrine en faisant le moins de bruits possibles.
Elle entra en grelottant. Son amie, en train d'écrire, l'aperçut et se leva pour chercher une serviette et des vêtements secs. En revenant, elle se précipita sur Shiraz :
- Mon Dieu, je me suis fait un sang d'encre pour toi !
Shiraz claquait des dents. Elle n'avait pas la force de parler. Elle se laissa chouchouter par la jeune prêtresse qui était plus angoissée que rassurée. Puis elle l'emmena au bord de la cheminée. Merrine lui apporta un chocolat chaud qui revigora la jeune femme en un tour de main. Mais c'est lorsqu'elle aperçut Rutgar, une pipe à la bouche, qu'elle retrouva la parole :
- Qu'est-ce que vous faites ici ?
Livia lui expliqua qu'il voulait la voir et que c'était important. Or, il ne lui avait pas mentionné les raisons. Lorsqu'elle fut suffisamment sèche pour s'asseoir, Shiraz narra son séjour de vacances à la Prison. Ses auditeurs ne dirent pas un mot. Mais lorsque la jeune femme évoqua sa tentative de transfert par la milice, Rutgar lâcha sa pipe avec stupéfaction. Quand elle eut fini, il déclara :
- Ça c'est encore un coup du Marteau du Crépuscule !
- J'y ai pensé aussi, répondit Shiraz un peu sceptique. Mais tu es sûr que ce sont eux qui seraient à l'origine de cette fausse interpellation ?
- Tout le monde en ville évoque des rumeurs comme quoi la secte aurait infiltré la garde d'Hurlevent. A tous les coups, ils utilisent cette couverture pour semer leurs zizanies sans crainte.
Le nain confirmait les soupçons de la guerrière. Elle comprit désormais qu'elle était en grand danger et qu'elle ne pouvait plus se cacher dans la capitale.
- Je dois partir, annonça-t-elle. Les miliciens vont débarquer d'une minute à l'autre. Livia, si tu souhaite m'accompagner, tu es la bienvenue. Mais on s'en va ce soir.
Elle se dirigea à l'étage pour préparer ses affaires, mais Livia l'arrêta :
- Attend, Shiraz. Et ma tante, on ne va pas la laisser là ! La garde va l'accuser de complicité et elle risque très fort de se retrouver en prison.
- On a qu'à l'emmener avec nous, déclara-t-elle. Je compte retourner à Comté-du-Lac de toute façon. Elle ira chez ta famille.
Livia n'aimait pas ce plan. Merrine était âgée. Elle avait peur qu'elle ne tienne pas le voyage. Mais elle faisait confiance à son amie qui avait toujours des idées et des solutions en réserve.
Shiraz reporta enfin son attention sur le Sombrefer :
- Vous vouliez me dire quelque chose d'important, c'est bien ça ?
Livia les laissèrent seuls dans le salon. Rutgar fuma sa pipe tout en la dévisageant, ce qui avait pour don d'agacer la jeune fille, particulièrement pas très zen ce soir. Mais il finit par répondre à sa demande :
- J'ai réfléchi à notre étrange discussion que l'on a eue la dernière fois. Certes, le Marteau du Crépuscule est l'une des sectes les plus dangereuses qui sévit en Azeroth, et oser s'attaquer à elle est pure folie. Mais à une époque, je m'étais promis de dévoiler leurs odieux secrets pour qu'on abatte enfin ce culte de malheur. Et refuser de t'aider est contraire à mes dires.
Shiraz comprit ou il voulait en venir. Il était de réputation que les peuples nains vouaient une grande importance à leur honneur. Mais elle sentait qu'il n'y avait pas que cette motivation qui l'avait poussé vouloir l'accompagner... Elle eut alors un élan soudain et sauta dans les bras du Sombrefer qui fit une grimace. Mais il sourit lui aussi. L'humaine et le nain avaient fini par s'entendre.

*


Une demi-heure plus tard, quatre voyageurs, armés jusqu'aux dents, emmitouflés dans de longues capes, et tenant deux chevaux par la bride, quittaient silencieusement la capitale. Ils fuyaient par les faubourgs, situés à l'extérieur des remparts, dont l'entrée n'était jamais gardée. Puis lorsqu'ils furent suffisamment loin de Hurlevent et de ses patrouilles sur le pied de guerre, ils montèrent, deux par cheval, et s'enfuirent au galop, cachés par la pénombre, malgré l'aube qui se levait...
Des ruines complètement noircies s'étalaient devant eux. On n'apercevait plus que les fondations en pierre qui reposaient dans un lit de cendres. C'était là tout ce qui restait de la demeure de Shiraz et d'Altaïr. Tout autour, la végétation était calcinée et de nombreux arbres étaient à moitié roussis. Par chance, le feu n'avait pas affecté le reste de la vallée, ni les faubourgs de Comté-du-Lac, mais la jeune guerrière ne partageait pas cet avis. Elle les méprisait, au contraire, de n'avoir subi aucun dégât, alors que seul son foyer avait brûlé.

Les trois amis avaient passés des heures sur le site de l'incident à la recherche d'éventuels indices. Shiraz était persuadée que quelque chose lui avait échappé. Tout avait été saccagé de façon un peu trop sauvage, pas digne de sectaires ou de mages noirs qui cherchaient à effacer des traces ou détruire des choses "impies" à leurs yeux. Elle repensa à la théorie de son maître d'arme, Selarin Asin'diel : une attaque des orcs. C'était logique. Les Carmines étaient une région réputée pour abriter des orcs. Le clan Rochenoire, qui plus est, loin d'être les plus sympathiques. Elle demanda alors à Rutgar si le Marteau du Crépuscule avait de quelconques liens avec les Rochenoire, comme c'était le cas avec les Sombrefer.

- Hummm... Excellente question, pensa le nain, songeur. Il y a plusieurs siècles, le clan Sombrefer a été réduit en esclavage par Ragnaros, le Seigneur du Feu, ce qui explique leurs liens potentiels avec la secte. Mais en ce qui concerne les orcs... A ta place, je ne ferais pas de conclusions aussi hâtives. Ta théorie pourrait se révéler fausse.

« Pourtant la piste semble être tellement évidente, songea Shiraz. Je suis sure que je trouverais des indices auprès des orcs ». Elle leur expliqua alors son "semblant de plan". Bien entendu, le nain maugréa, mais ils n'avaient que cette idée en tête. L'idéal était d'espionner celui qui dirigeait les Rochenoire aux Carmines. Cette personne pourrait être à l'origine de l'enlèvement d'Altaïr et de l'incendie qui s'en est suivi. Shiraz ignorait son identité et, surtout, sa position. Mais elle connaissait quelqu'un qui semblait être en mesure de le savoir.

Ils chevauchèrent toute la matinée sur la grand-route qui longeait le Lac Placide jusqu'à arriver au canyon Vent-de-Schiste. Situé à l'autre bout de la région, ce camp caché dans les montagnes abritait la Compagnie Bravo, réputée non seulement pour ses actions discrètes contre la menace Rochenoire, mais aussi pour être dirigée par le célèbre John J. Keeshan. N'importe qui dans les Carmines connaissait sa réputation plutôt ambiguë, autant pour sa bravoure que pour ses massacres d'orcs parfois scandaleux. Mais pour Shiraz, Keeshan était avant tout un vieil ami de son père. Quand elle était plus jeune, Altaïr avait travaillé un temps dans la Compagnie Bravo et avait gardé des liens très forts avec le Caporal Keeshan. Ils ne l'avaient pas vu depuis un long moment, ce dernier ayant eu de fortes occupations avec les orcs du coin. Pourtant, lorsqu'ils arrivèrent enfin au camp, "Johnny" la reconnut de suite :

- Hey, mais c'est ma copine la guerrière !

Il courra jusqu'à elle et l'embrassa les mains en l'air car elles étaient pleines de suie. Contrairement à son père qui vieillissait, John n'avait pas pris une ride. Il était torse-nu, comme tel était son habitude, et portait toujours son éternel bandeau rouge.

- C'est terrible comme tu as grandi, lui lança-t-il tandis qu'elle descendait de cheval. Pourtant, je t'ai reconnu de loin !
- Et toi t'est toujours aussi excité, plaisanta la jeune fille.

Ils pouffèrent à l'unisson. Revoir ce visage familier lui avait fait un temps oublier ses mésaventures. Ils discutèrent un moment comme des vieux amis comblés de se revoir, narrant le passé. A l'arrière, Livia et Rutgar se regardèrent, la mine déconfite. Ils semblaient avoir laissés leur amie sur le chemin et être venus avec une inconnue.

Lorsque Keeshan demanda des nouvelles d'Altaïr, Shiraz revint brusquement à la réalité et sa gaîté s'effaça. A nouveau, le coeur serré, elle dut raconter toute l'histoire depuis le début. John avait du mal à y croire et Shiraz dut insister longuement pour réussir à le convaincre. A la fin, un long silence tomba sur le camp. Même les compagnons de Keeshan ne soufflaient mot. Ils avaient également écoutés l'affaire et s'échangèrent des regards de pitié.

Shiraz reprit la parole après un long moment de lutte contre l'émotion. Elle exposa son plan au Caporal qui, au simple mot "orc", se mit alors à poser un chapelet de questions ou de remarques. Puis son visage s'illumina, comme s'il venait d'avoir une idée :

- Je crois savoir qui pourrait répondre à tes questions.

« Vraiment ? » Shiraz rougit. Elle tenait une piste ! Keeshan continua :

- Je doute que les Rochenoire aient un lien direct avec le Marteau du Crépuscule. Or, ils servent le Vol Noir, ce qui peut peut-être les rapprocher. Les dragons noirs et les orcs ont une longue histoire. Cela ne m'étonnerait donc pas s'ils servaient les mêmes ambitions.

Mais un détail semblait gêner la guerrière :

- Comment ça le Vol Noir ? Quel est le rapport avec la secte ?

John sembla étonné par sa remarque. Livia intervint :

- Tu n'es pas au courant du lien entre le Vol Noir et le Marteau du Crépuscule ?

Shiraz secoua la tête.

- Tu te souviens du Cataclysme, il y a quelques mois ?

Oh que oui qu'elle s'en souvint. Combien elle en avait connu des incessants tremblements de terre qui fissuraient le sol, des pluies qui duraient des semaines sans jamais une accalmie. Les vents étaient d'une violence telle qu'ils renversaient les arbres des forêts d'Elwynn... Il y en avait des exemples d'éléments déchaînés. Et puis il y a eu cette fameuse nuit, où celui que l'on appelle Aile de Mort, surgit des profondeurs d'Azeroth et traversa le monde en ravageant tout sur son passage. C'était cela, le cataclysme.

- L'Aspect Noir se serait allié avec le Marteau du Crépuscule, déclara Livia.

Shiraz sursauta. Elle ignorait complètement ce détail. Le Vol Noir, allié à cette secte de malheur ? Mais c'était catastrophique ! Les effectifs du Marteau du Crépuscule allaient exploser, et ils étaient maintenant dotés d'une véritable armée !

- Tout s'explique, réalisa-t-elle à voix haute. S'ils servent maintenant la même cause, alors l'enlèvement d'Altaïr par les orcs Rochenoire prend tout son sens.

- Oui mais je ne vois pas un orc derrière ce kidnapping mandaté par la secte, songea le nain en caressant sa barbe noire. Ces derniers doivent avoir chargés quelqu'un de s'en occuper.

- Tout à fait, approuva John Keeshan après les avoir longuement écoutés. Et il n'y a qu'une seule personne capable de cette décision dans les Carmines : le magus Doane.

Doane ? Shiraz avait déjà entendue ce nom. Ce mage vivait dans la tour d'Ilgalar, au nord de la région. Son ancien propriétaire, un certain Morganth, avait trahi le royaume humain en soutenant les Rochenoire dans leur tentative d'invasion des Carmines. Après sa mort, le mage Doane, que nul ne savait d'où il était originaire, avait pris place à Ilgalar. Apparemment, Keeshan avait l'air de soutenir que cet homme avait les mêmes projets que son prédécesseur. Était-il également un sectateur du Crépuscule ?

- Selon nos espions, ajouta John, Doane serait en réalité un dragon noir. Mais cela n'a jamais été confirmé. Ce qui est sûr, c'est qu'il sert le Vol Noir. Un de mes hommes l'a même surpris en pleine discussion avec Nefarian, le fils d'Aile de Mort.

- Par ma barbe, le salopard ! jura Rutgar avec force.

Le nain haïssait ce dragon, comme c'était le cas pour tous ceux de son clan. Les Sombrefers menaient une guerre éternelle contre les orcs et les dragons noirs. Même s'il avait volontairement quitté son peuple, Rutgar gardait encore en lui ses vieilles haines contre leurs ennemis héréditaires. De son côté, Shiraz rassembla tout ce qu'elle savait sur son enquête et aboutit à une conclusion évidente : Doane était bien le responsable du rapt de son père.

- Alors c'est à Ilgalar que nous devons aller, déclara-t-elle à l'assemblée. Il y a des chances pour qu'Altaïr se trouve encore là-bas.
- Hummm... ça m'étonnerais, rétorqua John. La tour d'Ilgalar n'est pas faite pour séquestrer des prisonniers, Shiraz. Ils doivent l'avoir transféré quelque part...
- Et c'est ce Doane qui nous le dira ! conclut-t-elle.

Elle se tourna alors vers le Caporal :

- Tu connais bien le coin, Johnny. Pourrais-tu nous accompagner ?
- Bien sûr Shiraz, lui sourit Keeshan. Mais nous partirons ce soir. Ce sera plus simple de nuit, car Ilgalar est entourée de camps orcs. En attendant, montons un plan. S'inviter chez Doane à l'improviste est suicidaire !

Tous acquiescèrent. Ici, c'était John J. Keeshan le maître des lieux. Ses conseils ne devaient en aucun cas être négligés...

*


La nuit était enfin tombée lorsqu'ils s'approchèrent de la tour du mage. L'endroit semblait désert. Keeshan leur avait expliqué que les orcs ne gardaient la tour que de jour. Ce pourquoi la nuit était le moment idéal pour tenter une infiltration ou une attaque. John et Rutgar sortirent des buissons et s'approchèrent de la tour. Le bâtiment semblait menacer de lui-même les imprudents qui osaient s'arrêter en face pour contempler ses vieilles pierres à moitié rongées par le temps.

- Et c'est censé être une tour de magicien, ça ? s'interrogea le nain. Je m'attendais à un peu plus de... fantaisie !
- C'est un membre du Vol Noir, pas du Kirin Tor, pouffa le Caporal tout en faisant signe aux autres d'avancer.

Le petit groupe s'approcha silencieusement de la grande porte, puis se dispersèrent autour du bâtiment à la recherche d'une entrée secondaire que John avait repéré il y a quelques temps. Mais ils avaient beau tourner autour des pierres, la petite porte était introuvable. Keeshan était stupéfait :


- Ce n'est pas possible ! Elle était encore là il y a trois jours quand je suis passé par ici.
- C'est peut-être une porte magique, comme c'est le cas ici, supposa Livia en scrutant la grande porte avec intérêt.

En effet, l'entrée principale n'avait pas de poignée. Seulement une armature de bois auréolée d'une lumière bleutée. « Il a verrouillé la porte par magie. Je ne sais pas si je pourrais contrer les arcanes grâce à la Lumière divine » songea la prêtresse en sentant l'aura magique vibrer à son contact.

- Si ce Doane est un dragon, ce dernier pourrait s'envoler depuis le sommet de la tour, fit remarquer Shiraz en guettant le ciel étoilé.

« Il y a un truc qui cloche » songea-t-elle en cherchant quelque chose du regard. Elle avait cru voir passer une forme noire dans le ciel et disparaître derrière le toit du bâtiment. « Certainement nos ombres que reflètent les flambeaux » pensa-t-elle pour se rassurer, même si elle n'y crut pas un seul instant.

- Vous ne trouvez pas qu'il fait drôlement silencieux pour un endroit censé être habité ? lança la jeune femme en ne cessant de se retourner.

Les autres se crispèrent, moins à cause des paroles inquiétantes de Shiraz qu'à cause du vent qui venait de se lever. Seul Keeshan restait détendu depuis qu'ils étaient arrivés sur les lieux. Il était habitué à ce genre de situation sur un terrain qu'il connaissait sur le bout des doigts.

- T'inquiète, la guerrière ! Quand les orcs ne sont pas là, ça fait toujours cet effet.

Livia avait froid dans sa robe de tisse-mage. Ce tissu était idéal pour les températures caniculaires des Carmines, mais ce vent venu de l'océan la faisait frissonner dans sa robe blanche et légère. Elle se colla à Shiraz pour se réchauffer, tandis que Rutgar faisait les cent pas autour de la bâtisse.
Lorsque le vent cessa de souffler, tout le monde s'immobilisa, à l'affût du moindre bruit. Il régnait un silence de tombeau, comme si l'on venait d'entrer dans des catacombes abandonnées. Livia frémit :

- Moi aussi je n'aime pas ce silence. Il m'inquiète...

Soudain, un énorme rugissement résonna au-dessus de leurs têtes. Lorsqu'ils levèrent les yeux, tous les visages se décomposèrent. Un dragon noir, deux fois plus grand que les arbres, plongeait droit sur eux.

- Courez ! hurla la guerrière.
La troupe se mit à courir à toute vitesse. Ils se dispersèrent un peu partout sur le promontoire pour tenter de dissuader l'immense créature qui les poursuivait. Keeshan se cacha derrière la tour d'Ilgalar et chargea son fusil. S'il fallait se battre contre un dragon, il le ferait de bon coeur ! Rutgar ordonna à Livia de se cacher dans la forêt tandis que Shiraz et lui attireraient le drake pour se débarrasser de lui. Ce dernier atterrit avec souplesse et marcha calmement, mais en grognant, vers les deux guerriers. Sa queue épineuse fouettait violemment le sol poussiéreux et de la fumée sortit de ses naseaux.

- Il va nous griller avant ou après nous avoir dévorés, chuchota la jeune fille au nain visiblement décidé à en découdre.
- S'il veut le faire, c'est avec ma hache entre ses côtes !

Rutgar brandit son arme lorsque la créature tourna la tête en direction de la forêt. D'un coup, il décolla et se dirigea droit vers la cachette de la prêtresse.

- Il fonce sur Livia !!

Sans réfléchir, les deux guerriers s'élancèrent à sa poursuite. John Keeshan se planqua dans un buisson et se coucha en sniper, prêt à tirer lorsque la bête reviendra.

*


De son côté, Livia grimpait la colline à la recherche d'un endroit ou elle pourrait observer ses amis sans être vue. Derrière elle, le dragon rugissait et elle se retournait plusieurs fois pour voir si les autres n'avaient pas trop d'ennuis. Elle finit par trouver une faille dans la paroi rocheuse qu'elle longeait. L'ouverture était tout juste assez grande pour y faire entrer un humain. Elle s'engouffra à l'intérieur, non sans quelques difficultés à y passer la taille. Livia invoqua la Lumière afin de lui éclairer l'antre dans laquelle elle se trouvait. Il s'agissait en fait d'une grotte assez profonde qui continuait dans la pénombre. La jeune femme s'approcha du fond pour en déterminer la limite, mais il n'y avait pas de paroi. Le tunnel naturel continuait dans les profondeurs de la terre. « Où est-ce que j'ai atterrie ? » se demanda-t-elle avec une pointe d'appréhension.

Le drake rugit une nouvelle fois mais avec une telle puissance que son cri résonna dans la grotte. Livia se retourna en sursaut et se précipita vers l'entrée. Elle passa la tête pour voir au dehors, et remarqua qu'il n'y avait personne sur le promontoire d'Ilgalar. « Où sont-ils passés ? » Elle commença à sérieusement s'inquiéter et jeta des coups d'oeil frénétiques dans toutes les directions. Qui plus est, la nuit noire n'arrangeait rien du tout. Elle ne voyait ni n'entendait personne.

C'est alors qu'une énorme forme noire se précipita sur elle. D'un coup, elle recula et s'enfonça dans la grotte. Elle vit les naseaux de l'animal par lesquels sortaient de la fumée. Elle frémit. Le drake la regarda de ses grands yeux reptiliens et siffla. Puis il se mit à inspirer profondément. « Ça c'est pas bon du tout ! » paniqua Livia. Elle partit en courant vers le fond de la grotte lorsque le dragon cracha un énorme panache de flammes. Il se prolongea sur une longue distance qui faillit rattraper la jeune femme et s'estompa au dernier moment. Mais Livia ne cessait de courir, devant parfois baisser la tête pour esquiver des stalactites en calcaire. Elle finit par s'arrêter devant un amas de rochers qui lui barrait le passage. Elle remarqua alors la longue distance qu'elle avait parcourue. D'un coup, elle se sentait perdue. D'un côté, un dragon monstrueux lui barrait le passage et menaçait de la rôtir, de l'autre, une ouverture bouchée l'empêchait d'aller plus loin. Qui plus est à quelques lieues de chez elle ! « Oh non ! Je ne vais quand même pas finir comme ça » se plaignit-elle. Livia était désemparée. Mais le souvenir de son amie, dehors dans la nuit, certainement en train de la chercher, refit surface dans son esprit. Alors elle rassembla toute sa volonté et pria avec ferveur la Sainte Lumière de bien vouloir lui venir en aide. Celle-ci exauça son voeu en lui fournissant une bouffée d'énergie. Livia canalisa alors la magie divine de façon offensive et l'envoya contre le tas de rochers qui s'effondra d'un seul coup. L'explosion provoqua une lumière intense dans la caverne et éclaira le chemin sur une longue distance.

Aussitôt la jeune femme s'élança dans le tunnel, profitant de la luminosité qui faiblissait. Le couloir semblait remonter doucement et même s'agrandir. « Je dois certainement remonter à la surface » se dit Livia en reprenant espoir.

*


Shiraz et Rutgar sprintaient comme jamais. Ils entendirent le dragon rugir comme un fou furieux et frapper la falaise qui s'étalait devant eux.

- Livia a certainement des problèmes, lança la jeune femme. Dépêche-toi Rutgar !
- Tu crois que je fais des joggings à Hurlevent, moi !
- Eh ben il serait temps de reprendre un peu d'exercices, mon cher ! Et surtout d'arrêter la bière !

Sur ces mots, elle grimpa à la paroi pour rattraper le drake par le dessus. Le nain s'approcha doucement et se cacha derrière un arbre. La créature cessa d'un coup son boucan. Il secoua la tête, comme s'il était à l'affût de quelque chose. Puis Shiraz lui sauta dessus et s'accrocha à sa croupe. La bête grogna et se secoua avec violence pour ôter le parasite qui peinait à se stabiliser. Elle dégaina l'une de ses épées mais la lame ne parvint même pas à percer les écailles du dragon. « Impossible ! » Shiraz jura. Son ennemi finit par la renverser contre un arbre pour la faire descendre. Elle encaissa le choc et maintint fermement sa prise. Rutgar sortit de sa cachette et appela la bête pour la distraire. Ce dernier ne se fit pas prier et cracha un souffle de feu sur le nain qui se jeta à plat ventre. Il se redressa pour esquiver la créature qui essayait de le piétiner. « On n'y arrivera jamais à deux ! » souffla-t-il en haletant.

Le drake se mit alors à déployer ses ailes. Il rugit un bon coup et décolla. Shiraz hurla de peur et se tint au cou de la bête pour ne pas tomber. « Où est-ce qu'il m'emmène ? » Elle ne mit pas longtemps à le savoir. Le dragon fonçait droit sur la tour d'Ilgalar. Soudain, il gémit d'une voix rauque. John lui avait tiré dans l'épaule. Il rechargea son fusil et visa le dragon à la tête pour tenter de l'abattre. Shiraz se redressa et fit de grands gestes avec ses bras pour dissuader Keeshan. Mais avant même qu'il n'ait pu la voir, le dragon atterrit avec fracas sur le toit de la tour. A l'impact, Shiraz chuta de sa monture et se rattrapa de justesse aux tuiles pour ne pas tomber. Elle entendit alors un rire s'échapper de la créature. Un rire sinistre, mais surtout humain, ce qui la stupéfia.

- Eh bien, Shiraz, on compte jouer à l'aventurière encore combien de temps ?

Elle le regarda avec de grands yeux. Non seulement le dragon parlait, mais en plus il connaissait son prénom ? « Il a du nous entendre le prononcer » se rassura-t-elle.

- Tu te demande certainement comment je sais ton nom, hein ! Sache que je ne l'ai pas découvert aujourd'hui.

Sur ces mots, une sorte de fumée l'enveloppa. Sa tête draconienne se rétrécit et son museau disparut. Ses ailes s'estompèrent peu à peu et il se redressa sur ses pattes arrière qui prirent une allure humaine. Sa transformation en homme s'acheva lorsque les écailles qui parsemaient son corps disparurent l'une après l'autre. L'homme à présent nu claqua ses doigts et se vêtit instantanément d'une longue robe noire richement brodée.

- Le mage Doane ! s'écria-t-elle. Keeshan avait raison. C'est un dragon noir !

*


Après une petite trotte, Livia finit par atteindre le fond. Il y avait une échelle qui menait à une trappe. « Ça alors ! C'était un passage secret ! » Tout en grimpant à l'échelle, Livia se demandait dans quel endroit elle allait atterrir. Elle poussa la trappe et déboucha dans une salle pleine d'instruments de cuisine et de tables chargées de plats. Au fond, quelques braises rougissaient encore dans une cheminée. Livia referma doucement la trappe et jeta des regards un peu partout. Personne. Elle quitta la cuisine et chercha une issue, mais elle ne trouva qu'un escalier qui montait. Elle se retrouva ensuite dans une sorte de hall dans lequel deux grands escaliers serpentaient en se croisant sur plusieurs mètres de haut. « La tour d'Ilgalar ! » réalisa Livia. Elle trouva la grande porte mais elle n'avait pas de poignée. Une aura arcanique flottait autour. « J'avais raison. Doane a verrouillé sa tour par magie. Pas étonnant de la part d'un sorcier » Sachant pertinemment qu'elle ne pouvait sortir par là, elle se mit à monter l'un des deux escaliers, espérant trouver une autre sortie, dut-elle donner dans le vide.

Elle arriva au sommet de la tour et déboucha dans une grande salle pleine de livres et de tables d'alchimie. « Ça doit être son bureau de travail » Elle s'approcha de l'une des tables et contempla les étranges mixtures qui reposaient dans des éprouvettes. Une ampoule à décanter comportait un liquide noir qui bouillonnait. « Ces produits sont étranges » trouva-t-elle en se bouchant le nez. Sur une table à côté, des étranges pierres étaient soigneusement placées dans une coupelle. Mais c'était un genre de métal qui partait en spirale qui intrigua vraiment la jeune femme. Cette pierre était d'un violet profond et semblait "pousser" comme une plante. A côté se trouvait un livre ouvert dans lequel était dessiné un croquis du minerai et le mot "élémentium" était inscrit en dessous. « Intéressant ! Ce mage aurait un rapport avec le Marteau du Crépuscule » songea-t-elle en récupérant l'ouvrage. « Cela intéressera le Père Valerius »

Elle entendit alors un bruit assourdissant au dessus de sa tête. Livia sursauta et regarda dans toutes les directions. Au fond de la salle, il y avait un grand rideau bleu suspendu. Elle en souleva un pan : des caisses remplies de centaines d'objets divers étaient empilés contre le mur. Elle monta sur une caisse et se cacha derrière le rideau lorsqu'elle entendit quelqu'un entrer.

- Enlevez-moi ces trucs ! Ça me brûle la peau !

« Shiraz ! » Livia regarda au dessus de la tringle du rideau : son amie était entravée de chaînes magiques, comme si la milice du Kirin Tor l'emmenait au Fort Pourpre. Mais ici, l'on n'était pas à Dalaran. Le mage qui maintenait l'incantation devait certainement être Doane. La jeune fille se débattait comme une furie, mais ses liens faits d'arcanes semblaient se resserrer autour d'elle au fur et à mesure qu'elle faisait le moindre mouvement. Le magus la força à s'asseoir sur une chaise et les chaînes magiques s'accrochèrent autour automatiquement.

- Tu m'épuises à bouger comme une harpie. Je dois presque utiliser les grands moyens avec toi !
- Vous avez qu'à m'enlever ces "choses" et peut-être je me tiendrais plus tranquille. De toute façon, je ne compte pas partir d'ici !
- Ah bon ! gloussa Doane. Et quelle est la raison de votre venue, toi et tes amis ?

Livia se demandait si elle devait aller au secours de son amie. Elle pouvait contrer la magie grâce à la Lumière, mais peut-être qu'elle briserait le seul moment opportun pour obtenir des réponses.

- Vous avez des choses à me dire, Doane ! Vous savez très bien de quoi je parle, étant donné que vous avez l'air de savoir qui je suis !
- Qui ne connaît pas la cible numéro un du Marteau du Crépuscule, lança le mage avec un rire sinistre. Même moi j'ai pour ordre de te livrer au Conseil Ascendant.

Livia frémit. Ce que lui avait raconté Shiraz à Hurlevent était donc vrai. Mais c'était catastrophique ! Il fallait absolument qu'elle empêche son amie de continuer ses recherches. C'était bien trop risqué !

- Pourquoi ils me recherchent ? Qu'ais-je fais qui attire leur attention sur moi ?
- Je te laisse le loisir de le découvrir, dit le mage en ouvrant le balcon, une torche à la main.

Il se dirigea vers un brasero et l'alluma. Le feu prit instantanément et s'éleva bien haut.

- Mes amis les orcs vont venir te chercher. Le Maître me récompensera grassement d'avoir si aisément mis la main sur toi.

Shiraz ne se laissa pas abattre. Elle enchaîna sur la raison de sa venue :

- Je le savais. C'est vous qui avez orchestré l'attaque de notre foyer ! Ce sont ces orcs à votre solde que vous avez envoyés kidnapper mon père et incendier ma maison.
- Bravo, Shiraz ! Tu as vite compris ! Et que comptes-tu faire ? Retrouver ton papa ?

Le magus tentait de faire craquer la guerrière. Mais elle ne céda en aucune façon, malgré son ton qui laissait entendre le contraire.

- Dans tous les cas, tu te livre inévitablement à ta perte, Shiraz ! Ou peut-être à ta rédemption !

Doane la regardait mystérieusement lorsqu'il dit ces paroles.

- Si tu nous rejoins volontairement, le Maître songera peut-être à te pardonner et à t'accepter dans l'Ordre Très Saint. Les Anciens Dieux cesseront de te torturer nuit et jour...
- Me pardonner de quoi? le coupa Shiraz en tremblant légèrement.
- De tous les péchés que tu as commis envers l'Ordre, bien sûr ! Rejoindre le Marteau du Crépuscule nécessite une certaine... purification !
Sur ces mots, un petit groupe d'orcs entra dans la pièce et accrocha des chaînes de métal aux poignets de la jeune femme. Doane ôta les liens arcaniques et leur donna l'ordre de l'emmener.
- Grâce à toi, jeune fille, les projets de nos Seigneurs se réaliseront enfin, fit l'homme en partant dans une sorte de délire. La Lame du Crépuscule reviendra parmi nous, et le Marteau du Crépuscule déferlera sur le monde...
Il rit comme un dément, complètement illuminé par son fanatisme. « Qu'est ce que vais faire ? se demanda Livia, inquiète. Seule contre un mage et des orcs, je ne tiendrais jamais ! » Elle pria pour que Rutgar et John se rendent compte de la disparition de Shiraz et se tiennent prêts à la sauver. Elle attendit que tout le monde sorte, le magus y compris, et souleva le rideau. Elle cacha bien le grimoire volé dans sa besace et commença à descendre les escaliers sans bruit.

*


Dehors, l'aube était en train de se lever. Les orcs Rochenoire tirèrent la jeune fille vers l'extérieur. Ils parlaient dans leur langue gutturale et gloussèrent plusieurs fois, ignorant complètement l'être vivant qu'ils traînaient négligemment. Shiraz tenta de se débattre mais elle savait que ça ne valait pas la peine. Un énorme chariot les attendait sur la place. Il y avait une cage prête à recevoir sa captive. « Il me faut un plan, et vite ! » stressa la guerrière. Sans ses épées, elle se sentait sans protection.

Puis l'un des orcs tomba par terre. Aussitôt, la panique s'empara du groupe. D'autres Rochenoire tombèrent sous les balles de Keeshan qui les avaient attendus, caché dans son buisson. Puis un cri de guerre sortit de la forêt : c'était Rutgar qui chargeait, la hache brandie au dessus de sa tête. Shiraz en profita pour asséner des coups de coude à ses geôliers et les étouffa avec ses chaînes. Elle trouva le trousseau de clés sur l'un des cadavres et détacha ses liens. Enfin libre ! Ivre de rage, elle prit une épée et embrocha tous les orcs qu'elle trouvait sur son passage.

- Content de te revoir, jeune fille, lui lança le Sombrefer.
- Et moi donc, dit Shiraz en hoquetant à cause de l'ivresse de la bataille. Il ne faut pas traîner. Le dragon, c'est Doane ! Il va surgir d'un moment ou un autre.

Livia finit par les rejoindre. Elle avait retrouvé les lames de son amie, au grand plaisir de cette dernière. Tous réunis, Shiraz décréta que le moment était venu de filer. Mais des orcs les attendaient de pied ferme sur la route.

- Venez, je connais un raccourci, dit Keeshan en montrant du doigt le bord du promontoire.

Ils le suivirent et contournèrent la tour. Puis le Caporal les emmenèrent jusqu'au bord du précipice qui se jetait droit dans le lac. John accrocha son fusil dans son dos et cria :

- Sautez !

Il s'élança dans le vide, devant les yeux médusés de ses compagnons. Shiraz se ressaisit, rengaina ses lames et, après un regard désespéré adressé aux autres, en fit de même. Rutgar grommela et incita Livia à sauter.

- Après toi, dit-elle en le poussant des mains, même si l'envie de se jeter dans le vide ne lui plaisait pas du tout.

Le nain pesta. L'eau n'était pas du tout son élément. Mais il se décida et disparut dans le vide, laissant la prêtresse seule. Elle hésitait. Et si elle atterrissait sur les rochers ? Cela lui faisait peur. Mais la voix du mage vociférant des ordres la ressaisit. Elle se retourna : des orcs étaient en train de se précipiter sur elle. « Et puis zut ! » Livia remonta les pans de sa robe, pria longuement la Sainte Lumière, et fit le grand saut...
L'eau était sombre et ocre. Des nuages de poussière se soulevaient dans les profondeurs du lac, faisant fuir la faune locale. Les quatre aventuriers remontaient vers la surface avec de grands gestes, comme si l'eau était lourde et qu'elle voulait maintenir son emprise sur ses proies. Seul le nain peinait à sortir des eaux, et Shiraz dut mettre toute sa volonté pour l'aider à remonter. Fort heureusement, ils finirent par recouvrer l'air libre. Ils inspirèrent à pleins poumons, rassasiés par cet air béni qu'était l'oxygène ! Ils nagèrent jusqu'à la rive et s'affalèrent sur le sable rouge.

- Le premier qui me refait faire ça, je le noie avant même qu'il ait la possibilité de respirer ! lança Livia en haletant, tel un boeuf rentrant des champs.
- Je suis d'accord avec toi, grommela Rutgar qui essorait sa barbe. Je ne sais pas nager moi ! J'aurais pu couler comme une pierre !
- Aaahhh, les nains... sourit John. Tous les mêmes !

Seul Shiraz ne dit rien. Depuis qu'elle était sortie de la tour d'Ilgalar, ses pensées étaient uniquement focalisées sur ce que le mage lui avait dit. Elle ne savait pas à quoi songer et n'arrivait pas à faire la part des choses. Cette affaire avait pris une tournure terrifiante. Elle commençait à avoir peur et se prit soudain à trembler.

- Tu as froid, Shiraz, lui demanda Livia en claquant des dents. Keeshan, on se les pèle ! Le camp est loin de notre position ?
- Non, pas trop. Par contre il va falloir marcher un peu. Et nous ne devrions pas traîner. Les orcs risquent de débouler ici pour nous retrouver.

A leur arrivée, le Caporal donna l'ordre à la Compagnie de leur procurer des vêtements propres, et fit sécher leurs affaires devant le feu. Livia se retrouva avec des braies trop grandes pour la petite femme qu'elle était ; Shiraz trouva son bonheur et dut négocier avec Jorgensen pour garder sa chemise. Quant à Rutgar, il insista pour rester habillé de ses défroques humides, malgré les protestations de la prêtresse qui le prévint que cela lui donnerait le rhume. « Un nain qui a le rhume ! Et puis quoi encore ! » lança-t-il avec une voix qui résonnait dans toute la gorge. « Le jour où j'aurais le rhume, c'est lorsqu'un crétin aura réussi à me couper la barbe ! » La Compagnie Bravo partit dans un fou rire général et sortirent les fûts de bière, habitude que tout soldat prenait lorsqu'un nain se joignit à leur compagnie.

*


Shiraz regardait le soleil qui trônait dans le ciel avec majesté. Selarin lui avait appris qu'il était vénéré chez les Hauts-Elfes, alors que leurs cousins Kal'doreil rendaient hommage à sa soeur la lune. La jeune femme était fascinée par tout ce qui était dans le ciel. Quand elle était petite, elle passait des heures le soir à regarder le crépuscule, sans se soucier de la symbolique qu'il prenait aujourd'hui. Même lorsque la tempête faisait rage dans les cieux, la jeune fille attendait les éclairs et les regardaient foudroyer la nuit abyssale.

Pourtant, l'image de son père ne cessait de revenir la hanter. Elle ne parvint même plus à méditer seule, entourée de la nature, sans que les derniers événements ne reviennent avec obsession. Les paroles du magus Doane se succédaient dans sa tête. Tu te livre inévitablement à ta perte, Shiraz... Elle se prit la tête dans ses mains. Doane la menaçait, l'empêchait de continuer son ascension. Pourtant le Marteau du Crépuscule voulait qu'elle aille jusqu'à eux, qu'elle se livre volontairement à la secte qui ne cessait de la surveiller. « Pourquoi ? » Shiraz ne comprit plus rien. « Ils envoient des Chasseurs pour me kidnapper, mais on m'empêche de retrouver mon père ! Qui plus est, le mage m'a nommé la "cible numéro un" de la secte. Qu'est-ce que j'ai de si important pour eux ? »

- Shiraz ?

La voix de Livia la fit sortir de ses réflexions. Elle s'approcha d'elle et s'assit à ses côtés, sur le rocher qui surplombait toute la vallée.

- Tu songeais à ce qui s'est passé, hein ?

La guerrière acquiesça en silence. Elle posa sa tête sur l'épaule de son amie, qui reprit :

- Quelle histoire ! Je ne sais pas comment tu fais pour supporter tous ces événements, mais j'admire ton courage.
- Merci Livia. Mais je t'avoue que je me sens plutôt faible, ces temps-ci. Tout ceci me dépasse ! Je ne comprends plus rien. La seule chose que j'arrive encore à faire, c'est tenir mes armes.
- Ecoute, la rassura son amie, tu devrais peut-être te reposer un peu...
-Pour faire quoi ? coupa Shiraz en se redressant d'un coup. Justement, je ne dois PAS rien faire ! Je dois agir, sinon je vais m'écrouler et ne plus jamais me relever.
- Je n'ai pas dit que tu devrais abandonner, soupesa Livia. Quelques jours suffisent seulement à reprendre des forces, et tu repars.
Shiraz se leva et fit les cent pas autour du rocher. La prêtresse la regardait avec une pointe de compassion.
- Je ne peux pas attendre. Chaque minute que nous perdons aggrave certainement le sort de mon père. Qui sait ce qui lui arrive en ce moment-même...
- Shiraz, s'ils ont capturés Altaïr, ce n'est certainement pas pour le tuer. Ils l'auraient fait sur place et ne se seraient pas embêtés à incendier votre maison à plusieurs reprises.
- Peut-être qu'ils ne veulent pas le tuer, mais la torture n'est pas quelque chose d'optionnel chez le Marteau du Crépuscule !

Elle s'arrêta. Livia lui avait ouvert une nouvelle énigme à résoudre. Comme si elle avait lue dans ses pensées, elle évoqua cette question douteuse :

- Il y a quand même quelque chose qui cloche. S'ils ont déployés autant de moyens pour capturer ton père, c'est qu'il représente forcément quelque chose pour la secte. Et c'est ça qui m'intrigue le plus.

Tout en disant ces mots, elle scruta la jeune femme avec un regard inquisiteur.

- Ecoute, Livia. Je n'ai rien à te cacher, tu le sais. Je suis dans le même pétrin que toi. Je comptais sur Doane pour qu'il m'éclaire à ce sujet, mais je n'ai eu aucune réponse.
- Tu aurais du lui demander, fit remarquer la prêtresse.
- C'est ce que j'ai fait...
- Non, Shiraz. Tu ne lui as pas demandé.

Elle resta bouche bée. Qu'insinuais-t-elle ? Livia avait l'impression d'être bien au fait de ce qui s'était passé. Pourtant elle n'en avait encore parlé à personne.

- J'étais là, avoua Livia. Derrière le rideau, au fond de la salle. J'ai tout entendu.

Shiraz avait espéré que cette discussion resterait personnelle. Trop de doutes se formaient autour des paroles du dragon noir. Maintenant, elle avait peur que Livia n'interprète mal les dires du magus.

- De toute façon, il est trop tard pour aller lui redemander. On doit changer de stratégie.
- Et si cela avait un rapport avec toi ? fit remarquer Livia.

Son amie la regarda avec méfiance :

- Comment-ça ?
- Doane t'as qualifié de "cible numéro un" du Marteau du Crépuscule. Apparemment, les supérieurs du culte le récompenseraient grassement s'il te livrait à eux lui-même. Et n'oublie pas cet avis de recherche qu'ils ont envoyée à tous leurs membres...
- Et alors, la coupa la guerrière, légèrement agacée, que serait le rapport avec mon père ?
- Réfléchis : s'ils ont organisés le rapt de ton père, c'est pour t'attirer, Shiraz. Il est ta seule famille, donc forcément tu vas remuer ciel et terre pour partir à sa recherche. Le Marteau du Crépuscule utilise Altaïr pour que tu tombe dans leurs filets !

Shiraz avait optée à cette hypothèse bien avant que Livia lui fasse remarquer. Mais elle refusait d'y croire. Elle n'avait absolument rien à cacher au sujet de la secte. Si c'était son père qui importait vraiment, elle comprendrait un peu plus. Altaïr a connu la secte par le passé. Ces derniers auraient très bien pu avoir une dent envers le vétéran nomade. Mais elle ?

- Shiraz, je commence à avoir des doutes à ton sujet. Cette affaire ne tourne absolument pas rond.
- Tu es en train de dire que je te cache des choses ? lança la guerrière après un temps de réflexion.

Livia ne répondit pas, mais elle laissa entendre que la jeune femme avait visé juste. Shiraz jura. D'un coup, elle éclata :

- Ecoute Livia, si tu crois que je te cache quelque chose, tu te trompe. Je n'ai rien à voir avec ces terroristes, tu le sais bien. Alors pourquoi te mets-tu en tête que j'ai des secrets à ce sujet ?
- Ne t'énerve pas Shiraz, s'il te plait. Je me pose les mêmes questions que toi. Mais l'on doit cesser de penser que tout ceci est le fruit du hasard. Il y a forcément quelque chose que tu ne m'a pas dit. Même si c'est insignifiant, il doit peut-être avoir une valeur importante pour la secte...
- Et ce serait quoi ? Je n'arrête pas de te le dire, Livia ! J'ignore ce que je représente pour le Marteau du Crépuscule. La seule fois que j'ai croisé leur chemin, ce sont eux-mêmes qui sont venus à moi.

La guerrière en avait assez de cette discussion. Pourquoi son amie la harcelait autant avec ça ? Cela ne lui ressemblait pas du tout. Shiraz connaissait la prêtresse mieux que quiconque.

- Oublie cette histoire. Elle te torture. La secte te force à te faire violence ! Tu es en train de jouer à leur jeu !
- Je n'abandonnerai pas mon père ! vociféra Shiraz.
- Il est peut-être plus des nôtres, à l'heure qu'il est !

Shiraz rougit et fixa la jeune femme avec de grands yeux.

- Je suis là, moi ! Je ferai tout pour t'aider ! Mais s'évertuer à retrouver quelqu'un qui est peut-être mort à l'heure qu'il est...
- Alors comme ça tu t'en fiche d'Altaïr ! explosa la guerrière, les larmes aux yeux. C'est ma seule famille, Livia ! Ma SEULE famille !! Toi tu n'es pas ma soeur, ni ma mère. Tu n'es qu'une amie !

Cette fois, ce fut Livia qui fut stupéfaite. Elle n'en revenait pas ! Ainsi, ce fut tout ce qu'elle représentait pour sa « soi-disant » amie ! L'envie était terrible, et elle ne se retint pas. Elle gifla la guerrière avec une telle énergie que le claquement s'entendit dans toute la forêt. Shiraz mit la main à son visage en regardant la prêtresse avec effarement.

- Mais qu'est-ce que tu fais ?
- Je m'en vais, Shiraz, dit-t-elle en tentant de tempérer sa colère. Je constate désormais l'estime que je porte dans ton coeur, et elle me révulse ! Continue sans moi, si tu tiens tant à mourir.

Sur ces mots, elle s'en alla d'un pas énergique et disparut derrière les arbres. Shiraz tenta de la rattraper :

- Livia ! Attend Livia. Je suis désolée ! Je ne pensais pas ce que je disais... Livia...

Elle était partie. Shiraz se maudit de tous les noms et tomba à genoux. Elle s'arracha les cheveux, verte de rage. « Je ne suis qu'une idiote ! Je n'aurais jamais du dire ça ! » Livia avait raison. Le culte était en train de la corrompre. De les corrompre. Et cela avait déjà commencé.

Elle ne retourna au camp que très tard. Presque tout le monde dormait dans leurs tentes, excepté Jorgensen qui montait la garde, et Rutgar. Il fumait sa pipe avec nonchalance, certainement en train d'attendre la jeune fille depuis un long moment. Shiraz s'assit au bord du feu qui mourait. Elle ne bougea plus, ne dit rien.

- Tiens, on t'a gardé à manger, lui dit le nain en posant une écuelle à côté d'elle.

Il se rassit et reprit son activité. Shiraz n'avait pas fait le moindre geste. Un peu plus tard, Rutgar lui raconta que Livia avait pris la direction de Comté-du-Lac. Mais la guerrière n'eut aucune réaction. Au bout d'un moment, elle mangea rapidement et se dirigea vers l'une des tentes. Le nain soupira. Livia ne lui avait rien raconté, mais il savait que quelque chose de grave s'était produit. Et que cela risquerait certainement de se reproduire.

*


- Rutgar !!

« Punaise ! On n'peut même pas faire la grasse matinée dans ce fichu camp ! » Le nain souleva le peu de couvertures qui le recouvraient encore. Il avait mal dormi. Non pas à cause d'une quelconque gueule de bois, mais une espèce de « saloperie de moustique infernal gangrené jusqu'à la moelle » avait ravagé le pauvre Sombrefer dans sa petite tente. Il s'était battu bien des fois contre cette vermine, et des macchabées trainaient un peu partout sur la toile. « Comment ils vivent dans un enfer pareil ! »

Le nain se redressa avec beaucoup de peine. Les excès sportifs qu'il avait pratiqués ces derniers jours se ressentaient dans toutes ses articulations. « La petite à raison. Je devrais faire quelques exercices ! » Puis après s'être habillé de ses vêtements à moitié secs, il sortit de la tente.
Il faisait un temps magnifique, comme presque tous les jours d'ailleurs ! Le soleil luisait doucement sur le nain, mais ce dernier avait déjà chaud. Il s'approcha d'un groupe, affairé à manger, et se joignit à eux. L'un des compagnons l'informa que John Keeshan le cherchait et, après avoir fini sa collation, Rutgar se dirigea vers la tente des opérations. Il n'avait pas encore vu Shiraz. « Avec ce qui lui est arrivé, elle doit encore dormir. Et moi on me réveille ! » Il grommela et héla le Caporal.

- Ah Rutgar ! Enfin réveillé ! Il est presque onze heures, tu sais !

« Onze heures ! J'y crois pas ! J'ai autant dormi ? » Il regarda autour de lui : tout le monde était affairé. S'ils voulaient continuer leurs recherches, il ne fallait pas qu'ils traînent trop.

- On a un problème, Rutgar !

Le nain se retourna vers son interlocuteur, un peu anxieux.

- C'est Shiraz. Elle a disparu !
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