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Calliope

Par Attalante#229
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Calliope

La Lune ce soir là, tellement fine que l'on eut dit un sourire narquois, éclairait les constructions dévastées d'une lueur blafarde, pâle comme la mort. Des cadavres ensanglantés jonchaient le sol ça et là en une morbide composition, tel un hommage à la seule chose qui unissait la Horde et l'Alliance : la haine, pleine et totale. Et au-delà d'un silence sinistre et funèbre, c'était l'atmosphère lourde accompagnant ces batailles où seule la mort est victorieuse qui régnait en ces lieux, tel un monarque implacable au coeur froid comme une pierre tombale.

C'est de cette horreur muette que s'élevaient des pleurs, ceux d'une âme qui aurait peut-être préféré faire partie de ces corps inertes.

La créature dont provenait cette complainte était une jeune trolle du nom de Calliope, une apprentie mage aux cheveux d'un bleu légèrement plus sombre que sa peau et aux yeux rouges comme les ocres des Terres Ingrates. Son bâton gisait à côté d'elle, sa robe était tâchée de sang et de larmes, et on eut dit que chaque sanglot lui déchirait un peu plus le coeur. Lorsqu'elle n'eut plus de larmes à pleurer elle se leva doucement, pour marcher d'un pas mal assuré vers un des cadavres ; puis, après l'avoir longuement contemplé d'un regard chargé d'amour et de profonde tristesse, elle s'agenouilla à ses côtés et souleva son torse de l'herbe devenue noire de sang séché, pour le serrer contre elle de toute la force dont elle était encore capable, toute la force de son amour.

Comment auraient-ils pu savoir à quoi cela les mènerait ? Comment pouvaient-ils prévoir cette bataille ?

C'est en se posant ces questions dépourvues de véritable sens que Calliope se remémorait ces temps où leur unique souci avait été de pouvoir continuer à s'aimer. Leur première rencontre, dans la forêt d'Ashenvale, remontait à deux ans... Et ils s'étaient tout de suite plu. Sans pouvoir expliquer pourquoi, elle n'avait jamais éprouvé un tel sentiment pour qui que ce soit et en avait été effrayée, mais n'avait pu lui résister lorsqu'il lui avait déclaré sa flamme. Elle se rappelait tous ces moments où ils étaient l'un contre l'autre, ces instants magiques où elle pouvait se plonger dans les grands yeux brillants de celui qu'elle aimait, celui qu'au fond elle n'avait pas le droit d' aimer...

Puisque si elle était une trolle, il était, lui, un elfe nommé Amaël. Ils avaient vécu cachés deux ans, deux trop courtes années durant lesquelles ils ne pensaient qu'à rester l'un près de l'autre. Ils s'étaient appris leurs langues, leurs cultures, avaient accepté leurs façons de voir le monde qui souvent différaient. Ils avaient appris à aimer ces différences. Mais par-dessus tout... ils s'aimaient, tout simplement. Ils avaient même songé à laisser les armes pour entreprendre une vie civile en territoire neutre, afin de se marier, de pouvoir vivre ensemble sans que quiconque veuille les en empêcher.

Mais à présent...

Quelques jours avant ce drame, ils avaient été enrôlés pour une bataille, sans savoir qu'il s'agissait de la même. Ce n'est que lorsqu'ils s'étaient présentés devant leurs chefs de guerre qu'ils surent où ils devaient combattre... Et lorsqu'ils s'étaient finalement retrouvés face à face, ils n'avaient su quoi faire. Non que l'idée de se combattre les eut effleurés, ils s'aimaient bien trop pour cela, mais s'ils avaient montré cette faiblesse ils auraient été tués l'un comme l'autre pour trahison. Ils étaient donc là, pétrifiés, à se regarder... Des injures fusaient autour d'eux, des cris, puis des armes et des corps mutilés tombaient... le champ de bataille se transformait peu à peu en boucherie. Amaël reçut alors un coup qui le fit tomber à terre, avant qu'un guerrier lui plante son épée dans la poitrine. Tout s'arrêta pour Calliope, comme si son propre coeur avait cessé de battre. Elle s'écroula à terre, incapable de bouger...

Après s'être remémorée cette partie de sa vie qui au fond était la seule à avoir compté pour elle, Calliope repensa à deux vers d'un poème qu'elle avait un jour lu : « Ma seule étoile est morte, et mon coeur meurtri Porte le Soleil noir de la mélancolie ».

En le serrant une dernière fois contre elle, elle posa un tendre baiser sur le front d'Amaël, puis reposa son corps à terre.

Elle saisit l'épée qui avait tué le seul être qu'elle ait jamais aimé, le seul qui ait su la rendre heureuse, le seul avec qui elle aurait voulu passer sa vie. Puis, dans un dernier sourire pour son amant, elle enfonça l'épée jusqu'à la garde dans son propre ventre.

En tombant, elle s'allongea aux côtés d'Amaël, le coeur léger : peut-être allait-elle retrouver dans la mort ce que la vie lui avait pris...
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